•^ J * ' r^'-1 m^:. 0 n vWA5^^1»V -^rÇ- t'k-'.-'-'. c-kmmM^ "C. . '"v ^ "^'^' ^S^^ ■ ^^v^ n^^^^ yj< T^'^M,, ^■^^v Q LJ ri ^ d^ ZOO? Ig2.9 smrs LA MORT DE LOUIS XI, ROI DE FRANCE. IMPRIMERIE ET FONDERIE DE J. PINARD , RUE d'anjou-dauphise, k° 8. LA MORT ROI DE FRANCE, DRAME historique; PAR LOUIS -SEBASTIEN MERCIER, ANCIEN MEMBRE DE l.A CONVENTION NATIONALE, DU CONSEIL DES CINQ CENTS ET DE l' INSTITUT. PARIS. AMBROISE DUPONT ET 0\ LIBRAIRES, RUE VIVIENINE, ÎN° l6. 1827 Digitized by the Internet Archive in 2010 witii funding from University of Ottawa littp://www.arcliive.org/details/lamortdelouisxirOOmerc xiv\AiVVV\Arvv\A;vvvvvvvvv\Ar\AAivxrvj>Aivvvvvvvvvvvxvvvvvvv'v\.'\j"v'\iV' AYIS DE L'EDITEUR. Un drame historique eiiipriinté à la vie de Louis XI , ou plutôt à un épisode d'un roman de Walter-Scott, est représenté en ce moment avec un grand succès sur notre premier théâtre ; il pourra paraître intéressant au Public de comparer la manière dont un écrivain de nos jours a conçu le caractère de l'ombrageux monarque de Plessis- les-Tours , avec les dernières scènes de terreur qui ont accompagné la fin de Louis xi , telles que les a reproduites un homme qui, malgré quelques aberrations d'esprit, a laissé plusieurs ouvi'ages remarquables par leur originalité et par d'ingé- nieuses fictions. On nous assure d'ailleurs qu'un de nos premiers poètes , M. Casimir Delavigne , s'occupe aussi d'une tragédie sur la mort de Louis xr, et que le jeune académicien n'a pas dé- vj AVIS DE L'ÉDITEUR. daigné de revêtir de sa brillante poésie quelques unes des situations si éminemment dramatiques, créées par son devancier à l'Institut. C'est une raison de plus pour que le Public accueille favo- rablement cette réimpression. La pièce de M. Mercier manquait d'ailleurs de- puis long-temps dans la librairie , et cette nouvelle édition a été faite sur un exemplaire corrigé de la main de l'auteur. LA MORT ®i KDiEras lit PERSONNAGES. LOUIS XI. LE DAUPHIN son fils. ANNE, fille aînée de Louis xi , comtesse de Bealjei-. JEANNE, fille cadette de Louis xi , duchesse d'Orléahs. LOUIS, Dic d'Orléaxs , qui fut depuis Louis xii. LE COMTE DE BEAU JEU. ROCHEFORT, nouvellement chancelier. DE LA VAQUERIE , premier président du Parlement. SAINT-ROMAIN , procureur-général. FRANÇOIS DE PAULE , ermite de la Calabre. LE CARDINAL D'ALBI. LE CARDINAL DE LA BALUE. COCTIER, médecin. DOYAC , „„ ... I ministres d'Etat. LEDAIM, TRISTAN, grand-prévot. ANTOINE DE NAXA , nonce du pape. GRIMALDI , à la suite du nonce. JACQUES ROZAT, avec huit Cordeliers de Lombardie. Chasoikes de Cologne. OLIVIER SALLART, lieutenant-général des chasses. Officiers de chasse et Paysans. Uw Envoyé de Bajazet. DÉPUTÉS du Parlement. Huissiers accompagnant le Parlement. Seigneurs et Grands de la Cour. Députés des Suisses. JACQUES MOBOURG. GUILLAUME TONNARD. Autres Gardes et Officiers. Troupes de Paysans et de Paysannes. Hérauts d'armes. La scène est au château du Plessis-les-Tours , en ! 483. LA MORT DE LOUIS XI, ROI DE FRANCE. vv\j\'\!V\ArvAr^,vvvxvvv-'ijvv\j'\j'vv\rvi\j\,\jV'\)VS.-vv"v-v\.\j\A)Vv"'iVV\ix\jVvvvv\i\i ( 11 fait nuil-, le ihc'âlre represenle une vasle solitude, au milieu de laquelle est un chàleau bâti en briques , fraise de gros crampons de l'er à plusieurs branches ) quatre tourelles de fer flanquées aux quaire loins; lout le '. Mais dites-moi un peu , vous, la grosse raisonneuse, là, franchenient , vous aimez le roi ? LA MEME PAYSANNE. Oh , l'aimer ! Dieu le bénisse ! Mais pas de questions comme ca... Je ne parlons plus. Vovez donc, il voudrait nous enfiler dans les affaires d'Etat. AUTRE PAYSA>'>rE. Eh , que tu es bête toi ! Faut toujours dire ici que tu l'aimes... Pas vrai, monsieur, que c'est le plus sûr, et qu'on n'y risque rien ? LA PREMIÈRE PAYSANNE. Bon ! tu dis ça exprès , parce que tu vois que ces mes- sieurs sont à son service , et tu penses que c'est plaisir pour eux qu'on dise du bien de leur maître ; mais je sa- vons , nous , qu'ils n'en pensont pas toujours tant de mer- veilles; et ce qu'ils contiont une fois entr'eux , eu vérité de Dieu, me fit dresser les cheveux sur la tète. LOUIS XI. Conament? qu'est-ce qu'on disait? COCTIEK , à son oreiîle. Prenez garde , vous allez vous découvrir... Ce sont des manans qui parlent. TRISTAN. Il faut nous dire tout ce que vous avez entendu. UNE paysan:?! E. Oh ! je n'avons pas taut de mémoire ; et puis, ce sont de si vilaines lilstoires , qu'on se garde bien de re- tenir ta. DE LOUIS XI. 23 LOUIS XI. Et qui sonl ceux, qui tiennent de pareils propos? LA MÊME PAYSANNE. Pardi ! de tous côtés. . . 11 y en a tant qui parlont ainsi ! LOUIS XI. Mais ne savez-vous point leurs noms? LA MEME PAYSANNE. Est-ce que je pouvons dire lequel, lorsqu'il y en a tant? AUTRE PAYSANNE. iHs-done, Jeanne, te souviens-tu de ce gros seigneur?. . Stilà ne riait pas , car il maugréait de tout son cœur. LOUIS XI. Mais, comment était-il fait ce gros seigneur? LA MÊME PAYSANNE. Je ne l'avons pas tant examiné, car il ne fit que s'ar- rêter un moment dans notre village; et pis, quel qu'il soit , il n'a pas l'air de craindre personne , car il avait un grand train. LOUIS XI. Si vous pouvez en venir dénoncer un seul au château , de ceux qui parlent ainsi , vous aurez beaucoup d'argent. LA MÊME PAYSANNE. Fi donc ] cet argent-là nous porterait malheur. AUTRE PAYSANNE. Non , il ne faut jamais trahir son prochain pour tout l'or du monde. LOUIS XI. Mais , ce n'est point là trahir, c'est servir le roi. UNE PAYSANNE. Yoilà hien parler comme un homme qui est à sou service. 9.4 LA MORT LOUIS XI. Mais vous n'êtes pas riche sans doute , et l'argent fait du bien. LA MEME PAYSANNE. Il faut donc , à cause qu'on n'est pas riche , gagner de l'argent de toute manière ? Nenni dà ; et je trouvons que tous ceux, qui en attrapent de travers , le payont eu mal- heur ensuite... J'avons un travail qui nous nourrit, et chacun doit avoir le sien. Tant pis pour stilà qui prend de toute main , pour faire de la peine à son prochain j il n'y a si grand au monde qui ne ressente un jour dans sa vie autant de mal qu'il en aura fait aux autres. LOUIS XI. Leur caquet m'étourdit... Je souffre horriblement. UNE PAYSANNE. Tiens , voilà déjà ta mère et nos tantes. Avançons, car elles vont nous gronder. UNE PAYSANNE. Adieu , messieurs. ( Elles s'en vont. ) SCÈNE IX. LOUIS XI, COCTIER, TRISTAN, TROUPE DE VIEILLES PAYSANNES. UNE VIEILLE PAYSANNE. Regardez comme elles se sont amusées à babiller. UNE AUTKE PAYSANNE, haut après les jeunes. Vraiment, c'est bien la peine de prendre permission de passer par le chemin de traverse pour arriver les dernières! il fait déjà un peu jour... Allons. (Elles passent. ) DE LOUIS XI. 25 AUTRE VIEILLE PAYSANNE. Salut , messieurs , bonjour. ( Elle passe.) UNE VIEILLE PAYSANNE. Dites-nous un peu, messieurs, comment se porte le roi ? TRISTAN. Bien, la mère, bien, LOUIS XI- Très-bien portant. COCTIER. Le mieux du monde. AUTRE VIEILLE PAYSANNE. Oh oui ! je vous croyons bien , vous autres. . . allez ! LOUIS XI. Pourquoi donc? UNE PAYSANNE. Vous dites toujours , cela va bien , tandis que tout le monde dit que cela va de mal en pis. AUTRE PAYSANNE. Oui , on nous assure qu'il s'en va comme une chan- delle. LOUIS XI. Et qui vous a dit cela ? UNE PAYSANNE. Dame ! c'est le bruit de partout. LOUIS XI , à Coclicr. Je ne respire plus.. . Je sens que je me meurs. COCTIER. Canaille qui parle . UNE PAYSANNE. Dame aussi ! il ne prend jamais l'air. Puis il a un mé- decin qui ne le quitte pas j comment guérir î 26 LA MORT LOUIS XI. Ils me croient déjà mort! 11 faut que je sois en grand (langer. TRISTAN. En voilà assez , en voilà assez ^ allez , allez , passez. AUTRE PAySAN?'E PAYSANNE. Bonne maiinée , monsieur le capitaine. SCÈNE X. LOUIS XI, COCTIER, TRISTAN. COCTXER. Tâtons votre pouls. Comme il est agité pour des misères ! TR ISTA>' . Ne VOUS épouvantez pas de ces contes... Ce sont des hruils de village, bavardages du peuple. Je suis si ac- coutumé à entendre tous les jours de pareilles inepties , que je ne m'en inquiète plus. LOUIS XI. Ils me regardent comme mort, je vous l'assure; et vous ne voulez en rien croire , vous autres. . . Je suis mal ; je Aeux rentrer, et que vous alliez tout de suite dans ce village vous informer soigneusement de ceux qui ont tenu ces discours. Redoublez les espions, et faites mettre à la question les gens qui auraient dit que j'allais mourir. Bajsant sa pctile Vierge de plomb. ) O ma bonue -Notre-DaUie , lie lu'.tbaiidoniic point I En loi j'ai foi entière! Qu'on ap- DE LOUIS XI. 27 porte ma guérite de transport... Je vendrais j)oiir beau- coup n'être pas sorti. ( a Trisiafl. ) Vous voyez ce qu'on dit , et vous vantez votre vigilance... Quelle douleur je sens ! COCTIER. C'est votre faute. Vous vous bouleversez l'esprit pour des billevesées. Lours XI. Ma faute! des billevesées ! Encore cette nuit, j'ai rêvé qu'on voulait m'assassiner. .. COCTI! R. Je vous l'ai répété cent fois ; quiconque vous livrera sa vie , sera maître de la vôtre. Ainsi , point de terreur ; elle ne préserve de rien . (On aperçoîl dans le ciel une espèce de meleore.) LOUIS XI. Eli ! qu'est-ce que cette flamme , ce feu que j'aperçois? COCTIEH. De quel côté ? voyons. . . LOUIS XI. Eh , là , là ! .. . Tenez , elle s'augmente , s'étend. . . Com- ment, vous ne la voyez pas? ( Balsam sa pelite Vierge de plomb. ) Bonne Notre-Dame ! qu'est-ce que cela m'annonce? COCTIER. Météore, vapeurs qui vont se dissiper. LOUIS XI. Si mon astrologue était ici, il me dirait si ce signe-là en veut à mes jours. COCTIER. Qui? ce Napolitain, à qui vousaA^ez donné l'arclievcché de Vienne? Belle science, par ma foi, que la sienne ! Eh ! vous a-t-il empêché d'avoir un accès de fièvre? 28 LA MORT LOUIS XI. Nou. . . Mais vous qui le Wâmez, guérisse-moi donc , el je vous promets, foi de Roi Très-Chrétien, de vous faire avoir un chapeau de cardinal... Guérissez-moi, carie souffre dans tout mon corps... Qu'est-ce que je sens au flanc droit?... Comme je frissonne!... N'esf-ce pas ce maudit vent du noi'd?... Oh! oui, c'est lui; je le sens à mes nerfs. . . Le voilà qui souffle encore, et je ne m'étonne plus si je souffrais tant. COCTIER. Il est vrai que ce vent cx'ispe les nerfs et nuit beaucoup à l'efficacité de mes remèdes. I.OUIS XI. S'il allait durer aussi long-temps que le mois dernier , pendant lequel il m'a tant tourmenté ! COCTIER. Nous sommes à la nouvelle lune ; et puisqu'il reprend , il y a tout à craindre qu'il ne dure... Gela est vraiment funeste pour vous. LOUIS XI. Je veux qu'on envoie tout de suite ordonner des pro- cessions par tout mon royaume, pour obtenir la cessation de ce maudit vent du nord. Je veux faire expédier un courrier à Paris, afin que tous les corps et communautés aillent en cérémonie à Saint-Denis y intercéder le patron de la France contre cette bise qui me désole et nuit à ma guérison... Et le saint homme de Calabre , oh! quand viendra -t-ill... Tardera - 1 - il encore long -temps? (On arrive avec la guérile de fer. Le pre'vôt cl le me'decin aident le roi à y enlrer, après y avoir place' son fauteuil. Lo pre'vôt renferme la guérite, el donne la clef au me'- decin qui accompagne le corps de troupes. ) Attendez.. . Prenez garde. DE LOUIS XI. 29 Fermez bien les portières . Quel vent ! comme ilme perce! Que je suis malheureux! (Oa remporte. Le grand-prevôt l'environne avec des gardes. Un corps fait la ronde, en ballant la caisse, et relevant les sen- tinelles de nuit. ) SCÈNE XL ( Le ihéàlre change, et représente une grande salle de l'inlerieur ^u châ- teau. On entre par une porte qui est d''un côte', et où il y a des gardes cl un officier qui tient la porte. Ceux qui passent en traversant la salle vont à une autre porte qui donne dans la chambre du roi, laquelle est pareille- ment gardée. ) SALLART, LEDAIM et DOYAC. ( Us sont précédés d'officiers de chasse el de paysans qui portent des cages, dans lesquelles sont des chats et de gros rats séparément. ) LEDAIM , à Sallan. Monsieur le capitaine des chasses, l'expédient que vous avez trouvé est assurément très ingénieux. SALLART. Ce n'est point de mon invention, monsieur; c'est, par- bleu! de Sa Majesté elle-même; et, d'après ses ordres précis, j'ai fait attraper les gros rats des environs, avec tous les chats un peu affamés. Cela va faire une chasse d'une espèce singulière, et qui suppléera à celle que son ti'iste état ne lui permet pas de goûter dans nos terres... La salle est-elle disposée en conséquence, et prête à rece- voir les champions qui vont combattre dans l'arène sous ses augustes regards? DOYAC. On arrange le champ clos. Il m'a fallu y veiller en personne; car les ouviûers n'y entendaient rien... Je 3n LA MORT veux servir de veneur dans cette plaisante chasse. Il n'v a rien à quoi je ne m'emploie pour les plaisirs de Sa Majesté. LEDAIM. Et moi de même. SALLART. Mais, messieurs, si nous faisions une répétition en règle, cela n'eu irait que mieux. J'ai imaginé une espèce de battue, où la troupe des rats, poursuivie par la phalange des chats, passera et repassera comme un trait sous les yeux de Sa Majesté. .. Ce sera un vrai plaisir pour elle de contempler cette fuite et ces combats. LEDAIM. Vous avez de rares talens en cette partie. Quelle fertile imagination I DOYAC. Mais vous êtes vraiment un bomme essentiel, et les ré- compenses du roi ne peuvent vous manquer. SALLART. Messieurs, VOUS me flattez beaucoup... ( D'un ion impor- tant.) Allez, vous autres , prenez ces cages , et suivez- moi. ( ^ux paysans, de qui les gardes-chasses prennent les cages. ) VOUS, retirez-vous : on n'a plus besoin de vos services. U.V PAYSAN . Monsieur le capitaine, nous aurions une grâce à vous demander. SALLART. De quoi s'agit-il? Dépêchez. Je n'ai pas le loisir. . Eh bien, que voulez-vous? LE PAYSAN. €'est de prier le roi de nous laisser tuer quelques piè- DE LOUIS M. 3i ces de gibier qui est en si grande population depuis qu'il ne chasse plus à cause de sa maladie ; de sorte que tous les biens de la terre sont détruits par cette engeance-là. U?î AUTRE PAYSAN. Oui! Et ils nous font la nargue encore : on dirait que tous ces animaux -là savont qu'il nous est défendu d'y tou- cher ; car ils venont nous regarder dans nos carrés de choux jusque sous le nez, comme pour se moquer de nous, tandis qu'ils ont le ventre plein de nos légumes. J'enrageons de bon cœur de les voir si insolens ; car j'a- vons souvent l'estomac vide , et quelqu'un d'eux nous ferait bonne mine au pot. SALLART. Vous êtes bien hardis de faire de pareilles demandes; c'est bien à faire à des manans comme vous de raisonner ainsi... Apprenez que vous devez respecter le moindre de ces lièvres ; et si quelqu'un d'entre vous y touche , je le ferai. Dieu me damne! brancher sur l'heure. UN PAYSAN . Mais, puisque Sa Majesté est malade, elqu'elle ne chasse plus... SALLART. Que dites-vous? malade? Il vous appartient bien de parler ainsi! Le roi chassera peut-être demain, peut-être aujourd'hui. LE MEME PAYSAN. Mais en attendant, monsieur le capitaine, au moins tuez- en donc quelques uns vous-même; caries sangliers, les cerfs fourragent tout, vignes et moissons. Pourquoi le roi ne veut-il pas qu'aucun seigneur chasse d'aucun côté? Ces animaux sont-ils donc plus à conserver que nous? 32 LA MORT N'avons-nous pas assez des tailles et de tout ce que nous payons? Et si cela continue, le roi ne sera plus que le roi des bêtes fauves et des lièvres ; car je laisserons là le tout, et nous nous en irons, nos enfans sur le dos. SALLART. Qu'on me chasse ce raisonneur, et qu'on mette en pri- son le premier qui dira un seul mot. ( Les gardes les poussent dehors.) DOYAC. C'est bien faitj il faut être ferme avec ces drôles-là. LEDAIM. Obi les cbasses sont bien entre vos mains, M. Sallart. SALLART . Vraiment oui; il n'y aurait qu'à écouter le paysan I (Aux gardes. ) Je VOUS Ordonne d'être plus sévères que ja- mais, et d'observer l'ordre du roi à la lettre. Vous savez qu'il n'y a aucun l'ang qui tienne. La cbasse est géné- ralement défendue; alla volonté du prince est au dessus de toute considération. DOYAC. Voilà parler comme un fidèle serviteur. LEDAIM. Bon citoven, M. Sallart. SALLART. Allons, messieurs, faisons place, et commençons la répétition. DE LOUIS XI. 33 SCÈNE XII. (Tandis que Sallart, Ledaim et Doyac se relirenl par une porte du fond, suivis de gardes qui porlenl les cages de rats et de chats, entrent par une autre porte des moines cl chanoines, portant de petites caisses de reliques. On voit paraître Jacques Rozat avec plusieurs de ces religieux chargés At reliques, et des chanoines de Cologne avec des reliques des Trois-Piois. Us se font des révérences en entrant.) JACQUES ROZAT, CHANOINES DE COLOGNE, CORDELIERS. UN CHANOIiS'E DE COLOGNE. Serviteur, mes révérends. JACQUES BOZAT. Nous VOUS saluons, messieurs les chanoines. UN CHANOIJXE. 11 paraît que nous venons chacun pour le même objet. JACQUES ROZAT. C'est pour la précieuse santé du roi que nous apportons quelques reliques efficaces qui nous ont été demandées. LE CHANOINE. Pourrait-on savoir de quel pays elles viennent? JACQUES ROZAT. De Lombardie. LE CHANOINE. Elles ont de la vertu de ce côté-là... Nous, nous arri- vons de Cologne , et nous apportons une chemise qui a touché aux Trois-Rois, et, de plus, ua petit fragment d'iceux. JACQUES ROZAT. Cela doit avoir un effet infaillible. Vous rendez là un . 3 34 LA MORT service essentiel au roi , et méritez qu'il reconnaisse un si grand bienfait. Vy CORDELIER. Jamais la chemise des Trois-Rois n'a manqué une guérison. AUTRE CORDELIER. ^ Les prodiges qu'elle a enfantés sont innombrables. LE CHA>'OI^E. Vous avez bien de la bonté, mon révérend. AUTRE CHANOINE. Rien de plus honnête de votre part. UN CHANOINE. Soyez sûr que , de notre côté , nous ne vous ferons point de tort. JACQUES ROZAT. Messieurs , nous sommes persuadés de vos bonnes in- tentions. On n'est pas dans ce monde pour se détruire. UN CHANOINE. Dites-nous un peu , avez-vous vu le cardinal d'Aibi? JACQUES ROZAT. Oh! oui. Nous sommes bien avec luij il nous a donné la permission de nous présenter. UN CHANOINE. Vous n'avez pas oublié le secrétaire? JACQUES ROZAT. Nous avons rempli tous les usages, et largement. LE CHANOINE. Bon: c'est tout comme nous. Il faut encore avancer cet argent, outre les frais du voyage ; mais nous n'y per- drons rien, je vous assure. Vous pouvez compter que vos reliques seront acceptées. DE LOUIS XI. 35 JACQUES ROZAT. Messieurs, je vous souliaite, ainsi qu'à nous, une bonne gratification. LE CHANOINE. Voici le cardinal de La Balue et le cardinal d'Albi. Ils s'arrêtent à la porte , obsédés par la foule qui les supplie. AUTRE CHANOINE. Ce sont eux qui ont fait de belles fortunes ! L'un était jadis laquais , et l'autre s'est élevé tout aussi miraculeu- sement. JACQUES ROZAT . De pareilles fortunes donnent bon espoir. UN CHANOINE. Paix ! les voici qui s'avancent. SCÈNE XIII. LES ACTEURS précédens , LE CARDINAL D'ALBI, LE CARDINAL DE LA BALUE , GRIMALDI , nonce du pape , ponant le corporal de saint Pierre. (De grandes salutations jusqu'à terre, des chanoines et cordeliers , aux cardinaux qui vont à la porte du roi. Pendant ce temps, conversation à voix basse des cordeliers et chanoines sur le devant du thealre. ) JACQUES ROZAT, à voix basse. Il me semble que le nonce apporte avec lui des reliques. LE CHANOINE. Je ne le vois que trop, et je crains que cela ne nous nuise. JACQUES ROZAT. Notre Saint-Père n'a-t-il pas déjà assez de ricbesses, et devrait-il se mêler d'envoyer encore ici des reliques à notre 36 LA MORT désavantage ? car de pareils dons nous font toujours grand tort, en ce qu'il faut que le roi y réponde. D'ailleurs, cela engendre une trop grande multiplicité. LE CHANOINE. Il est vrai que le Saint-Père , dans sa haute fortune, devrait nous abandonner un tel soin j mais peut-être aussi que cette abondance ne nuira pas, et ne paraîtra rien de trop aux yeux du roi , car il est grand amateur. JACQUES ROZAT. Le voici . . . Qu'il est défait ! . . . SCÈNE XIV. LES ACTEURS PRÉCÉdeNS , LOUIS XI, ea robe de satin cramoisi, doublée d''hermine; il est porte dans un fauteuil; les cardinaux raccom- pagnent. Les chanoines et les moines sont autour des cardinaux. LES CHANOINES , aux cardinaux , à voix basse. Nous nous recommandons à vous. LES CORDELIERS. Ne nous oubliez pas. LE CARDINAL d'aLBI. L'un après l'autre, s'il vous plaît Donnez-moi vos reliques et le prix de chacune. . . Bon ! LOUIS XI. (Il a les mains jointes et parait accablé.) Ah! je suis bien mal! J'ai besoin de toutes ces pré- cieuses reliques 3 qu'on m'en environne ! UN CHANOINE. Sire, celle-ci est pour l'épaule droite. AUTRE CHANOINE. Celte autre est pour la tête. DE LOUIS XL 37 UN CORDELIER. Voici pour l'estomac. AUTRE CORDELIER. Radicale pour le dos. UN CHANOiNE. Unique pour les reins. UN CORDELIER. Voici l'osselet du grand Policarpe. LE CARDINAL DE LA BALUÉ. Pas si haut. . . Doucement 5 parlez Las, car la tête de Sa Majesté souffre du moindre bruit. LE CARDINAL d'aLBI. Donnez-moi tout. . . Nous compterons après. Il faut faire place à l'envoyé du Saint-Père. LOUIS XI. Prenez toutes ces saintes reliques, et qu'on les range autour de mon litj il ne saurait y en avoir une trop grande quantité. O bonne Notre-Dame de Madère! croyez que je ne vous suis pas infidèle, en appelant à mon se- cours l'intercession de tous ces saints. (Il baise sa pelile Vierge de plomb.) LE CARDINAL d'aLBI. Sire , voici le nonce qui vous apporte directement de Rome le corporal de saint Pierre. C'est d'un effet im- manquable. LOUIS "XI. Grâces lui soient rendues ! Qu'où me le mette tout de suite ! LE NONCE. Voici la liste de toutes les reliques que le Saint-Père 38 LA MORT envoie à Votre Maiesté , reliques d'un si grand mérite , qu'elles ont manqué de causer une révolte dans Home lorsque le peuple a su qu'on les emportait en France Il a fallu que le maître d'hôtel de Sa Sainteté s'échappât secrètement. LOUIS XI. Le Saint-Père peut compter qu'après de si grandes marques de sa hienveillance , je ne refuserai rien de ce qu'il me demandera. LE NONCE. Sire, il ne demande que peu de chose. LOUIS XI. Quoi? LE NONCE. Seulement l'abolition de la Pragmatique-Sanction. LE CARDINAL d'aLBI. On ne saurait être plus modéré ni se contenter à moins. Avec des demandes aussi justes, n'est-il pas vrai, sire, qu'on est sûr de n'être point refusé? LOUIS XI. Vous savez mes intentions ; arrangez cela pour moi , et que je guérisse. LES CHANOINES , qui se pre'senlent. Sire ! LOUIS XI. Pour ce que j'ai reçu de messieurs de Cologne, je leur fais une pension de dix mille écus. LES CHANOINES. Sire , nous prierons Dieu éternellement pour Votre Majesté. DE LOUIS XI. % LES CORDELIERS, qui se presemeat à leur lour. Sire, nous avons remis à monseigneur le cardinal , d'a- près A'os ordres . . . LOUIS XI , au cardinal d'Albi. Vous en avez la liste avec les prix ; vous acquitterez fidèlement cette dette . . . c'est la première de toutes. SCJ^NE XV. ACTEURS PRÉCÉDEIS'S , TRISTAN , UN ENVOYE DE BAJAZET. " TRISTAN. Sire, voici un envoyé du sultan , qui prétend avoir des choses pressées et de conséquence à vous communiquer. Il a été bien visité , et paraît s'intéresser de bonne foi à la consei'vation de Votre Majesté. LOUIS XI. Qu'il approche 5 que veut-il? L ENVOYE TURC , avec un papier à la main. Sire , le sultan Bajazet, mon maître, ayant appris que VOUS étiez curieux de certaines reliques, a fait dresser un état de toutes celles qui sont dans Constantinople , et s'offre de les faire passer à Votre Majesté uniquement pour mériter l'amour d'un roi aussi puissant , qu'il consi- dère personnellement, par cela même qu'ilasuaffermir sa puissance et se rendre maître dans ses Etats j et comme il se trouve beaucoup de rapport dans leurs idées sur le pou- voir absolu , il le prie d'accepter cet écrit, précurseur des dons qui vous seront adressés. LOUIS XI , au cardinal. Prenez, et voyez. 4o LA MORT l'envoyé. Faites-vous lire cet écrit , afin que je note les ossemens qui pourraient plaire à Votre Majesté. LOUIS XI. Lisez , cardinal. LE CARDINAL d'aLBI , lisant. Liste des reliques conservées à Constantinople , et que SaHauteSSe offre au roi de France . (Les chanoines de Cologne et les cordeliers de Lombardie prêtent une oreille attentive.) Le tibia de Saint Hippolyte, V omoplate de saint x\pollinaire, Tmcfear de saint Sapliorin , le sternum de saint Agapite, V avant-bras de sainte Dorotliée. LW MOINE. ALI pour celui-ci, il est faux : l'avant-bras de sainte Dorothée , c'est nous qui l'avons apporté ; et le voici. l'envoyé. Laissez-moi le considérer , car je suis sûr de l'authen- ticité du tout, et surtout de cet article-là. Il a été con- quis , et on l'a trouvé sur le maître-autel bien et dûment enchâssé. JACQUES ROZAT. C'est une copie, c'est une copie. Nous avons le véritable avant-bras 3 nous sommes sûrs de notre fait. l'envoyé. Je certifie le contraire à Votre Majesté. JACQUES ROZAT. Les vraies reliques des saints seraient-elles demeurées en paix chez les musulmans? Elles se seraient plutôt en- volées pour se réfugier dans le sein de la catholicité. Il ne faut que cet argument pour vous confondre. DE LOUIS XI. 4i " l'envoyé. On les tient depuis la prise de Constantinople. Voilà un fait : et c'est vous qui , d'après cette perte, avez forgé des imitations. JACQUES ROZAT. Des imitations! Et les nôtres ont fait des miracles avoués, certifiés, multipliés. Quellcautre preuve .. . l'envoyé. Celles de mon maître sont incontestablement les véri- tables. Nous avons eu les reliques et les reliquaires. UN CORDELIER , au cardinal. M. le cardinal , faites-le congédier ; il va nous faire du tort. le cardinal , à voix basse. Je dirai à Sa Majesté que les clioses les plus saintes se- raient profanées par l'approche d'un musulman. UN CORDELIER. Oui , d'un idolâtre qui adore Mahomet (♦). JACQUES ROZAT, haut. Sire , je vous assure que ces présens ne sont qu'un en- voi chimérique et imposteur : c'est nous qui avons ces pré- cieuses reliques dans la plus parfaite identité. l'envoyé. Je soutiens le contraire ; vous n'avez que des contre- façons... JACQUES ROZAT. Ah , sire I permettez-vous qu'il blasphème ainsi en votre présence ? ('l L'ignorance de ce Icmps-lk faisait regarder les mahome'tans comme des idolâtres. 42 LA MORT l'enyoyiî. Mon maître ne les vend point à Sa Majesté : voilà mon dernier mot. Il les lui donne. Si le roi en veut la collec- tion entière, il n'a qu'à parler... Telle est ma mission. LE CARDINAL , à Louis xi. Sire, on ne peut se fier aux. infidèles. Tout se corrompt en passant par leurs mains j il n'y a de sûreté que dans celles qui exercent le ministère des autels : et ma foi ne saurait ctre aussi entière pour les reliques de Constanli- nople que pour celles de Cologne et de Lombardie. LOUIS X[, à renvoyé. Répondez-vous de l'effet inévitable des reliques dont vous m'offrez la liste ? l'envoyé. Mon maître ne peut répondre de rien : sacbant que vous êtes grand amateur de ces ossemens , il a chercbé à vous satisfaire; le reste ne le regarde pas. C'est un pur don de sa générosité ; et vous pourriez , sire , le recon- naître avec un peu plus de complaisance. LE CARDINAL d'aLBI. Vous entendez , sire, comme il parle? Toutes ses pa- roles sont scandaleuses. LOUIS XI , à l'envoyé. Retirez-vous, et dites à votre maître que je ne veux point de ses présens j je n'accepterai son amitié et son alliance qu'en cas qu'il veuille se convertir à la foi catholique . l'envoyé. Il pourrait, sire, vous faire la même proposition. LOUIS XI , baisant sa petite Vierge de plomb. Quel blasphème! O bonne Notre-Dame , pardonnez - moi de l'avoir entendu ! DE LOUIS XI. 43 l'envoyé. Les reliques de mon maître seront pour d'autres moins difficiles : copies ou originaux , rien de tout cela ne gué- rit, sire. On a voulu seulement vous complaire. Excepté la tombe de Maliomet , il n'y a point de miracle à espérer sur la terre. LE CARDINAL. Il est bien audacieux ! LOUIS XI , à voix basse. Qu'on le chasse , et qu'on le conduise sous bonne es- corte jusqu'aux frontières de mes Etats. LE CARDINAL. Il mériterait d'être puni. LOUIS XI , à part. Si je ne craignais des représailles, je l'aurais bien fait changer de langage ; il m'a tout ému. LE CARDINAL. Il ne faut que la présence d'un infidèle pour arrêter la vertu des reliques que vous possédez. LOUIS XI. Bonne Notre-Dame de Madère ! préservez-moi de toute communication avec les infidèles , et pour réparalion d'en avoir envisagé un seid , j'institue une prière à la sainte Vierge, qu'on dira le matin , à midi et le soir : on l'appellera V Angélus, et la cloche de toutes les églises et de toutes les communautés sonnera trois fois pendant ce temps. Ayez soin, cardinal, que cela soit ainsi par toute la France , et que le peuple s'y conforme. LE CARDINAL. Vos ordres , sire , seront exécutés ; on sonnera VAti- geJus trois fois par jour, et tout le monde , au son de la 44 LA MORT cloche, se mettra à genoux. Vous devez présentement être rassuré , en voyant autour de vous ces saintes et nombreuses reliques. LOUIS XI. Je veux les essayer toutes... Eh, le saint homme ne vient donc pas ! LE CARDINAL. Il ne doit pas tarder, sire. J'en ai un pressentiment secret, et j'ai offert le saint sacrifice pour sa prompte arrivée . LOUIS XI. Commandez encore trois cents messes pour cela. LE CARDINAL. Oui , sire... et le ciel vous favorisera. SCÈNE XVI. LES ACTEURS PRÉcÉdENS , IHV OFFICIER. l'officier. Sire , le comte de Reaujeu arrive avec le dauphin. LOUIS XI , effraye. Le comte avec le dauphin!... Retirez-vous tous. (A Tofficier. ) Que mcs gai'des se tiennent prêts avec vous au moindre signal... Faites entrer le comte , mais seul. SCÈNE XVII. LOUIS XI, seul. Il me prend un tremblement... Pourquoi vient-il avec le dauphin?... Serait-ce lui qui tramerait?... lui, en qui DE LOUIS XI. 45 j'ai mis toute ma confiance , à qui j'ai donné ma fille aînée... Mais c'est pour cela même qu'il me trahirait peut-être... Devenu si puissant.. . Prenons nos sûretés. SCÈNE XVIII. LOUIS XI, LE COMTE DE BEAUJEU. LOUIS XI f aussitôt que le comte de Beaujeu entre. Holà, capitaine, tous mes gardes ici ! (Les gardes et les officiers accourent. ) Qu'on se saisissc de lui l LE COMTE. De moi, sire! O Dieu! qu'ai-je donc fait? Qui peut m' avoir attiré votre colère? LOUIS XI. Assurez-vous de sa personne 5 prenez garde qu'il n'é- chappe... Qu'on le fouille, et qu'on m'apporte tous les papiers qu'il a sur lui. (A un détachement.) Vous, cdlez^ et qu'on arrête tous ses gens. LE COMTE. Est-il possible d'être traité aussi honteusement? moi, votre gendre ! moi , qui avais votre confiance , et qui suis toujours resté le plus fidèle de tous les princes ! LOUIS XI. "Voyons. (11 lit aTidement quelques papiers qu'on a tires des poches du comte. ) 46 LA MORT SCÈNE XIX. ACTEURS PRÉcÈDENs , LA COMTESSE DE BEAUJEU. LA COMTESSE DE BEAUJEU , entrant avec vivacité'. Que vois-je, mon père! Qu'avez-vous donc contre mon époux? Dîles-mol Je quel crime il s'est rendu coupable , pour être traité ainsi? LE COMTE. Je suis sûr de mon innocence ; jamais ma fidélité ne s'est démentie un iristant j et si l'on m'a noirci auprès de Sa Majesté , je puis aisément me justifier. LA COMTESSE. Entendez-vous le cri de l'innocence , mon père? et pouvez- vous écouter vos soupçons aussi précipitamment? Ne sommes-nous pas vos fidèles sujets , vos enfans , en qui vous avez placé votre confiance ? Croyez-en votre fille; non , non , nous ne vous trahissons pas. LOUIS XI. Dites-vous bien vrai? Puis-je me fier à vos paroles ? LA COMTESSE. Ab , rejetez ces doutes outrageans ! je suis votre fille. Qui plus que moi est intéressé à votre conservation? Je réponds de mon époux j il ne peut que perdre dans tout cbangement, et ses intérêts sont entièrement liés aux vôtres. LOUIS XI , après un silence. Qu'on le laisse libre. LA COMTESSE , aux gardes. Retirez-vous. (Elle embrasse le comte.) Est-CC là l'homme dont VOUS pouvez suspecter la fidélité?... Comte, n'en DE LOUIS XI. 47 prenez aucun chagrin ; c'est la maladie de mon père qui cause de pareilles erreurs. LOUIS XI. Mais c'est qu'on me menace de complots. .. Il vient ici , accompagné du dauphin , et malgré ma défense. LE COMTE. Sire, pardonnez 5 c'est d'après votre ordre même. LOUIS XI. Moi, je vous aurais dit de l'amener? LE COMTE. Votre Majesté tient encore l'ordre par écrit ; c'est le seul papier que vous n'ayez pas lu , et qu'on vient de vous remettre... Le voilà entre vos mains. LOUIS XI , regardant et lisant. Ah! je l'avais ouhlié... H est vrai que je m'étais pro- posé de le voir et de l'entretenir j mais depuis j'ai changé d'avis. On me menace j il se trame quelque conjuration secrète j il y a des semences de révolte. LA COMTESSE. Sire , calmez-vous j nous veillons à tout j j'ai vérifié par moi-même la délation de ce cordelier ; elle s'est trouvée destituée de tout fondement. Nous l'avons interrogé, examiné de nouveau; il s'est coupé, et enfin il a été obligé d'avouer que c'était un tour imaginé pour ohtenir récompense... Il est en prison, où il demande grâce de sa fourberie . LOUIS XI. Il faut qu'il soit pendu , pour m'avoir fait une pareille peur. Je veux que mon prévôt le fasse expédier au- jourd'hui. 48 LA MORT LE COMTE. Sa condamnation est juste. LA eOMTESSE. Oui , mon père , il mérite la mort , pour avoir ajouté une fausse terreur à vos souffrances. Dans trois heures vous en serez délivré. LOUIS XI. Dites-moi un peu , comte , le dauphin est-il élevé comme je vous l'ai recommandé ? Prenez garde que je n'aie aucun reproche à vous faire quand je le verrai. S'il allait être différent de ce que je veux qu'il soit... LE COMTE. Votre Majesté sera satisfaite. Il est dans la plus par- faite ignorance 5 et quand même il lui viendrait l'idée de s'enfuir et de se révolter, il n'a aucune capacité pour se faire écouter de qui que ce soit. Soyez persuadé, sire, qu'Q n'éblouira et ne séduira personne par ses connaissances j il est bien tel que Votre Majesté le désire. LOUIS XI. Les connaissances lui seraient inutiles ; il n'est pas fait pour entrer dans les affaires de mon vivant; il faut qu'il ignore tout ce qui se passe dans mes Etats.. Mais mes douleurs augmentent 3 chaque pai'tie de mon corps sem- ble se déchirer; je tombe dans une faiblesse. .. Ah ! que le saint homme tarde à venir ! LA COMTESSE. Je vous annonce son arrivée , mon père , et j'ai en- voyé au devant de lui pour le faire hâter. LOUIS XI. Ma fille, je vous tiendrai compte de tous vos soins... Je Terrai donc le saint homme, qui me guérira ! . . . Aidez- DE LOUIS XI. 49 moi à me couvrir de cette relique : celle-ci me fera plus de bien , sans doute. Je souffre avec l'autre. SCÈNE XX. ACTEURS PRÉcÉDENs, COGTIER , DEUX VALETS DE CHAMBRE. COCTIER , une coupe à la main. Comment, sire, vous tardez si long-temps? L'heure de vous mettre dans votre bain se passe. Il faut que j'apporte moi-même votre potion j il y a deux heures que vous de- vriez l'avoir prise. Allons, ne faites point l'enfant, et que je vous voie l'avaler de bonne grâce . LOUIS Xf , aux valets de chambre. Pourquoi ne m'avertissez-vous pas de l'heure où je dois prendre ma médecine? UN VALET DE CHAMBRE. Votre Majesté nous avait défendu de l'interrompre. LOUIS XI. Sortez tous les deux de ma présence. Je vous chasse. ( Les Talets de chambre se retirent. ) COCTIER. Allons, buvez tout d'un coup. LOUIS XI. Mais il y en a beaucoup ; et si c'est aussi mauvais que ce que vous m'avez fait prendre hier . . . COCTIER. Avalez, avalez 5 et point tant de façons, ou je ne me mêle plus de voti'e santé; et alors vous guérirez comme vous pourrez. 4 5o \A MORT LOUIS XI. Il faut donc que je boive, malgré mon extrême répu- gnance... Puissé-je y trouver du soulagement ! LA COMTESSE. Prenez courage, sire ; c'est l'affaire d'un instant. . . LOUIS XI, buvani, et rendant la coupe au médecin. Oh! que cela est mauvais ! COCTIER. Parbleu ! l'on métamorphosera pour vous les remèdes en miel, en confitures ! C'est bien avec ces douceurs-là qu'on guérit des maux aussi invétérés que les vôtres ! Vous n'y êtes pas encore ; il faut de ce pas aller prendre votre bain; puis vous avalerez de deux heures en deux heures la même potion , et sans y manquer ; après cela , suivant l'effet, nous tenterons autre chose. J'ai différens remèdes à vous faire prendre ; il faudra bien qu'à la fin nous venions à bout de votre maladie, toute rebelle qu'elle se montre. LOUIS XI. Je l'espère bien ; car j'ai été docile à vos ordonnances, et je compte sur l'efficacité des reliques, qui, jointe à celle des remèdes.... (:ot;TiER. Ne transgressez pas une seule de mes ordonnances , voilà le point capital , et je réponds de vous : sans quoi . . . LOUIS XI. Ne vous fâchez donc pas , médecin... Est- il quelqu'un de plus malheureux que ïnoi ! A quoi me sert ma gran- deur? DE LOUIS XI. 5i COCTIER. Oh! il faut que votre grandeur prenne médecine tout comme un autre . LOUIS XI. Tout comme un autre ? COCTIER. Eh, oui! pouvez-vous guérir différemment? LOUIS XI. Vous m'assurez en avoir guéri plusieurs , mon cher et habile médecin ? COCTIER Vous le savez bien. LOUIS XI. Et qui étaienL plus désespérés que je ne le suis 7 COCTIER. Sans moi, vous seriez tombé dans le dernier degré de dépérissement , et alors il n'y avait plus de remède. LOUIS XI. 11 en est temps encore ?.. . Vous me l'assurez bien ? COCTIER. Sans doute... sans doute... Mon art m'offre des res- sources infinies, ignorées de tous les autres médecins. LOUIS XI. N'est-il pas juste que je jouisse un peu d'une royauté à laquelle j'ai fait des sacrifices assez grands pour en retirer les fruits, et que j'occupe le trône au moins quelques an- nées encore? J'y suis monté un peu tard : vous l'avoue- rez, et vous devez mettre à ma maladie une attention pro- portionnée à mon rang et à la perte que je ferais. COCTIER. Irais-je de but en blanc tuer un roi de France ! 52 T. MORT LOUIS XI. Non, won, je le sais bien; vous y prendrez garde. Ne vous mettez pas en colère ; c'est que je souffre. Et comme on ne saurait employer trop de moyens, permettez que je presse l'arrivée du saint homme. Envoyez tous les che- vaux de ma nouvelle poste au devant de lui. ( Baisant sa pe- tite vierge.) O bonne Notre - Dame de Madère ! . . . Allons , qu'on me porte au bain. COCTIER. Une autre fois gardez-vous d'y entrer si tard, je vous en préviens. LOUIS XI. Allons, allons, j'y vais de ce pas. Ne grondez point , médecin. ( On emporte Loais xi.) SCÈNE XXI. 1 Le théâtre représente une des salles de cérémonie, qui avoisine la cham- bre du roi dans l'intérieur du château. ) LOUIS DUC D'ORLÉANS et CHARLES DAUPHIN. LE DUC d'oRLÉaNS. Monseigneur le Dauphin, permettez que je vous ex- prime la joie que je ressens de me trouver ici avec vous. LE DAUPHIX. Je vous remercie, M. d'Orléans. LE DUC d' ORLÉANS. Vous êtes toute l'année enfermé dans le château d'Am- boise, et personne ne peut avoir la permission de vous y rendre visite. DE LOUIS XI 53 LE DAUPHIN. Ce n'est pas ma faute : j'aurais beaucoup de plaisir à recevoir du monde ; mais le roi mon père l'a expressé- ment défendu , et je vous réponds que je m'ennuie très fort de ne voir que les mêmes personnes. LE DUC n'oRLÉANS. Les études que vous faites occupent sans doute tout votre temps, monseigneur? LE DAUPHIN. On ne me fait rien apprendre, monsieur; et c'est ce qui me chagrine. Je veux en demander la raison au roi. Croi- riez-vous qu'à mon âge on refuse de m'enseigner à lire? Mais je suis ennuyé de mon loisir : jouer sans cesse me fa- tigue 3 et puisque je dois être roi un jour, ne faut-il pas que je sache ce que savent mes sujets, et plus encore ? Qu'en pensez-vous, M. d'Orléans? LE DUC d'oRLÉANS. Monseigneur, les rois peuvent quelquefois se dispenser de la science, lorsqu'ils ont sous eux des personnes ins- truites qu'ils laissent faire, ou dont ils prennent les avis. LE dauphin. Je ne crois pas que cela soit bien, comme vous le dites, M. d'Orléans. Je suis franc, quoiqu'on me dise toujours que , dans mon rang , il faut dissimuler. Contrainte péni- ble ! Je ne crois point qu'oa puisse bien choisir un bon conseil si l'on n'a du jugement, et pour bien juger il faut savoir, il faut être au moins en état de discerner le vrai mérite, et la probité. Je vois déjà qu'on me trompe : je n'ose plus me fier à personne ; et si je ne savais pas que vous êtes un jeune prince bien élevé, rempli d'honneur et de vertus, je me garderais de vous parler à cœur ouvert. 54 LA MORT LE DUC d'oRLÉATSS. Certainement, monseigneur, je n'abuserai point de votre confiance , et je ferai tout pour la mériter ; vous êtes encore assez jeune pour réparer le temps perdu , avec un peu d'étude et d'attention. Bien qu'on vous en empêche , il n'est pas impossible que vous parveniez à discerner ce qui est juste et bien d'avec ce qui ne l'est pasj l'âge et la réflexion vous donneront de bonnes idées. LE DAUPHIN. Je voudrais avoir un moyen sur pour avancer toujours dans la meilleure voie sans ni'égarer Parlez-moi ou- vertement : croyez-vous qu'il soit possible que je de- vienne un jour un bon roi ? LE DUC d' ORLÉANS. Oui, monseigneur, je le crois. LE DAUPHIN. Vous le crovez? LE DUC d' ORLEANS. Très sincèrement. LE DAUPHIN. Eh bien ! voilà cependant que vous me flattez , car vous ne me connaissez guère. Et comment pouvez- vous affirmer cela, puisque nous nous sommes vus si peu? LE DUC d'oRLÉANS. L'inquiétude généreuse que vous m'avez témoignée est pour moi , monseigneur, d'un heureux augure ; elle me suffit, et me dispense de toute autre preuve. Mais, pour répondre à votre franchise , je prendrai la ILbeité , si vous V consentez, de vous faire quelques questions, lesquelles m'affermiront, j'espère, dans ce que j'ai dit... Y consentez-vous, monseigneur? •irr.tfJ DE LOUIS XI. 55 LE DAUPHIN. Volontiers. LE DUC n'oRLEANS. D'abord , avez-vous un cœur sensible ; c'est-à-dire , lorsque vous voyez quelqu'un souffrir, compatissez-vous aux douleurs qu'il endure ? LE DAUPHIN. Oui. LE DUC d'oRLÉANS. Vous sentez-vous un désir véritable qui vous pousse à faire vos efforts pour faire cesser ou diminuer sa peine ? LE DAUPHIN. Oui. L'autre jour on frappait un soldat sous mes yeux ; je n'ai pu m'empecher de crier, comme si l'on m'avait battu moi-même. LE DUC d'oBLÉANS- Vous ne pouvez donc voir tranquillement faire du mal à un homme, et quand il souffre vous souffrez avec lui? LE DAUPHIN. Beaucoup. LEDUC d'oRLÉANS. Par conséquent, vous serez fort attentif à ne poinl causer de peine à vos semblables? LE DAUPHIN. J'en serais bien fâché. Et que peut-il nous revenir dos douleurs d' autrui? LE nur d'orléans. Vous n'aimerez donc pas à diminuer la nourriture d'un pauvre paysan, à le priver de ce qu'il peut donner cbaqiié jour à ses enfans ; et cela pour avoir de beaux châteaux ., de beaux meubles, un plus grand train? 56 lA MORT LE DAUPHITV. Non; je sens que j'aarais plus de plaisir à faire le bien- être d'autrui qu'à me contenter moi-même de cette manière . LE DUC d'orlÉAISS. Vous n'aurez pas du goût , je crois , pour assembler une armée à grands frais, et faire égorger dans une plaine quinze à vingt mille hommes, afin d'essayer, au risque de leur vie, d'agrandir votre royaume d'une province ou d'une lie lointaine , et de porter le malheureux titre de conquérant et de vainqueur? LE DAUPHIN. Il me semble qu'il est atroce de causer une mort dou- loureuse à un seul homme qui est un bon sujet, pour en obtenir un autre qui à coup sûr ne vous aimera point; car l'amour ne s'obtient point par la force. Homicide point ne seras y telle est la loi. Mais dites-moi , est-ce que les rois ont commis de pareilles horreurs? LE DUC d'oRLÉA^S. Oui, monseigneur; peu d'entre eux ont fait le bonheur de l'humanité. Les uns, avec un cœur assez bon , ont été victimes de leur trop grande faiblesse ; les autres ont péché par une ambition déraisonnable , et au lieu de diriger leur pouvoir vers l'amélioration intérieure du royaume , ils n'ont son^ qu'à des intérêts étrangers au bonheur de la patrie. Il en est qui, gâtés dès l'enfance par l'adulation , se sont endurcis à la voix mensongère des courtisans, et sont devenus impérieux, intolérans, cruels, sans égards ni respect pour les hommes , dont ils ne sont que les chefs, et non les maîtres absolus. Ceux-là sont détestés et redoutés : aussi s'enferment-ils, et n'osent- DE LOUIS XI. 67 îk regarder en face un homme sans sentir le remords ou la crainte . LE DAUPHIN. Je vous entends, et je pense, hélas! tout ce que vous pensez. La rougeur me couvre les joues j je suis prêt à pleurer. Que ne puis-je épancher dans votre sein tout ce que j'éprouve ! — Mon père ! mon père ! — Ah! si j'étais le fils d'un paysan, je pourrais le voir et l'emJjrasser tous les jours ; il m'aimerait, sa vue ferait ma joie j et le mien m'inspire de l'effroi! Je ne sais quoi m'empêche de l'emhrasser; et lui, il m'éloigne d'un seul regard, il ne me sourit jamais. Ah! que je suis malheureux! Je ne vois autour de moi l'ien que de triste ; on ne parle que de châtimens et de supplices, et moi-même je suis esclave. LE DUC d'oRLÉaNS. Monseigneur, que cet exemple et votre situation vous impriment de honne heure la nécessité d'être juste, et de ne jamais rien commettre qui vous empêche d'être af- fable et populaire. N'oubliez pas les vertus de votre jeune âge j toute bonne action dérive de la sensibilité. Si j'avais été destiné à porter la couronne , au lieu de m'enfermer dans une tour inaccessible , j'aurais aimé à me montrer sans gardes j j'aurais écouté avec amour tous mes sujets j l'exercice de la justice eût été ma plus chère occupation ; je me serais fait le père du peuple... Voilà tout ce qu'un roi de France, après le lot qu'il a reçu de la Providence , peut faire de mieux ; car quel degré de puissance peut-il désirer encore? De nouvelles augmentations de pouvoir sont des rêves funestes et nuisibles. LE DAUPHIN . J'aime à vous entendre. Puissé-je écouter souvent vos 58 LA MORT conseils! Vous êtes instruit, et vous avez de nobles sen- timens... (Lui tendant la main.) Soyons amis. LE DUC d'oRLÉANS. Soyons amis Mais je ne puis vous parler ici avec liberté, ni trop long-temps; il viendra un jour où peut- être vous en écouterez d'autres qui sauront vous séduire et vous faire goûter des conseils contraires. LE DAUPHl:v. N'ayez point dépareilles craintes... Ces dissimulations dont ils veulent me remplir, je les garde contre ceux même qui me les enseignent. LE DUC d'oRLÉaXS. Observez cependant, monseigneur, que la dissimula- tion est quelquefois malheureusement nécessaire envers ceux qui veulent nous tromper ou abuser de notre con- fiance; mais elle est indigne dans les traités publics, où l'on doit donner, à quelque prix que ce soit , l'exemple de la probité la plus intègre. Tout prince qui se couvre d'une politique insidieuse est méprisable, même dans ses succès; et la trahison, le manque de foi à ses promesses, à ses engagemens , sont ce qu'il y a de plus criminel et de plus honteux pour un monarque. LE DAUPHIIV. J'approuve bien ces maximes. Il me semble qu'elles doivent être le garant de la sûreté publique el la con- fiance des nations. [)E LOUIS Xf. 59 SCÈNE XXIÎ. ACTEURS PRÉGÉDENs, LA COMTESSE DE BEAUJEU, JEANNE, DUCHESSE d'orlÉANS , SA SOEUR. LA COMTESSE DE BEAUJEU , à part. Comment, le dauphin seul avec le duc d'Orléans... O ciel ! que dirait le roi , s'il le savait ! . . . ( Haut. ) Mon- seigneur, j'ai cru le comte de Beaujeu avec vous. LE DAUPHIN. Je l'attends , ma sœur ; il doit m'introduira tout-à- l'heure chez le roi. LE DUC d'oRLÉANS. Nous l'avons prié d'intercéder encore une fois, afin d'obtenir l'avantage de voir enfin Sa Majesté , et de lui présenter nos respects. LA COMTESSE. Vous avez pris une peine inutile. . . Le roi ne veut porte. ) SCÈNE XL. FRANÇOIS DE PAULE, seul. Me voici donc dans ce palais qui répand la terreur dans les contrées les plus lointaines. Je vais voir ce roi qui m'appelle , et devant qui tant de mortels tremblent et s'humilient. C'est donc là ce qu'on appelle régner ! Quelle lugubre enceinte ! . .. Quelle âme pourrait y goû- ter le repos et la paix? SCÈNE XLI. FRANÇOIS DE PAULE , LOUIS XI , soutenu par Cocl.er et par la comtesse de Reaujeu. LOUIS XI. O vous, après qui je soupire depuis si long-temps, DE LOUIS XI. 83 saint homme , ami du ciel ! recevez l'hommage de mon respect, (il se prosterne à ses pieds.) FRANÇOIS DE PAULE. Que faîtes-vous? Relevez-vous, roi, et dites ce que vous me voulez. LOUIS XI , toujours à genoux et prosterne' jusqu'à terre. Voyez l'état de maladie sous lequel mon corps est af- faissé. Un instant plus tard j'allais périr j mais c'est vous qui me sauverez. Plus mon mal est grand, plus ma gué- rison vous couvrira de gloire. FRANÇOIS DE PAULE. Je ne vous entends pas bien , et ne puis vous souffrir dans cette posture humiliante; c'est devant Dieu qu'il faut se tenir ainsi. Laissez-moi vous aider, (il le soulève, et, aide des autres, le met sur un fauteuil qu'on approche.) SoutCnez-lc , amenez un siège... Asseyez-vous... Vous ne pouvez pas vous tenir autrement... Vous me paraissez bien mal. * LOUIS il. Eh ! touchez-moi , ou bien prononcez quelques mots ; je reprendraibientôt ma vigueur. FRANÇOIS DE PAULE. Que me demandez-vous, roi? Je suis un homme, et non pas un Dieu. Je puis vous offrir des secours spirituels pour soulager votre âme. LOUIS XI. Je ne veux point trop vous importuner Laissons l'âme pour cette fois ; songez seulement au corps : or- donnez à la douleur, à tous les maux d'en sortir, et ma reconnaissance n'aura point de bornes. FRANÇOIS DE PAULE. Vous me parlez de vous guérir? De quel moven voulez- 84 LA MORT vous que je me serve pour rétablir des organes uses, un corps décrépît, que l'art delà médecine abandonne? Si Dieu veut terminer vos jours , quel est le mortel qui peut changer ses décrets sacrés ? LOUIS X.I. Vous êtes un solitaire spécialement favorisé des grâces du ciel, et dont la piété profonde édifie la terre... Après tout ce qu'on publie de vous , il faut bien que vous ayez reçu le don des miracles. FRANÇOIS DE PAULE. Des miracles?. .. Ah ! je vois bien qu'on vous a abusé. LOUIS XI. Quoi ! vous n'auriez point fait de miracles? Et comment donc prouver que vous agissez par l'esprit de Dieu, si vous ne donnez aucune marque publique que vous êtes un homme extraordinaire? FRANÇOIS DE PAULE. Roi, sortez de votre aveuglement. Nous somme* fous pécheurs , et je n'ai dans ce monde aucun pouvoir surna- turel ; l'ordre établi de Dieu même ne se dérange pas à la voix d'une chétive créature, et quiconque a dit autrement est un imposteur. .. Je suis venu malgré moi , pour céder à vos instances. Des avis charitables et des prières , voilà tout ce que je puis vous offrir. LOUIS XI. Non , non , je sais bien ce que vous pouvez faire. Votre renommée est de trop bonne odeur pour qu'elle ne soit pas le fruit de quelques miracles éclatans. Je vois que vous voulez m'éprouver avant de me secourir, afin de voir si ma foi est enlière. Oui, je crois en vous, ô saint homme ! Ayez pitié de l'état où je suis 5 les maux qui me DE LOUIS XI. 85 tourmentent sont trop accablans pour que vous n'en soyiez pas touché. Hâtez la fin de mon supplice, ou du moins permettez que je jouisse de quelques adoucisse- mens. Faites un quart de miracle seulement j unissez-vous à tous les bienheureux du Paradis , dont je porte sur moi les précieux restes ; emportez-le sur eux , afin que je vous en décerne toute la gloire . Il n'y a point de saint à qui je n'aie adressé une offrande et dont je n'aie quelques par- celles ; il faut bien que tout cela opère à la fin, car je n'ai jamais épargné l'argent ni les fondations pieuses. FRANÇOIS DE PAULf. Roi , VOS promesses , vos reliques , vos offrandes , tout votre pouvoir, toutes vos richesses ne peuvent révoquer l'arrêt du Maître éternel; je le vois empreint dans vos traits, rien ne peut vous sauver de la mort. LOUIS XI , tout tremblant. Ah ! qu'a-t-il prononcé ! LA COMTESSE DE BEAUJEU. On ne parle jamais de cela au roi. COCTIER. Il est défendu de prononcer ce mot-là. FRANÇOIS DE PAULE. Comment , on ne peut nommer la mort devant un être mortel V LOUIS XI. Eh ! de grâce ne répétez pas Il me semble la sentir. Au nom de la sainte Vierge, gardez-vous de répéter. . . FRANÇOIS DE PAULE. Quelle faiblesse, et comme l'homme se dégrade au teime des grandeurs humaines ! Je ne puis supporter ce mensonge orgueilleux, inventé dans les cours 3 je dois, 86 LA MOKT en lioinme vrai, remplir les devoirs de ma mission j la charité m'ordonne d'avertir mon semblable à l'instant où il descend dans la tombe, où il va subir son arrêt j et comme un monarque a plus à rendre compte aux hommes et à Dieu qu'un simple particulier, le conseil doit être donné d'une voix plus haute et plus prompte. Ainsi, je vous le répète, roi , vous n'avez que peu de temps à vivre, et le jour du jugement approche. Interrogez votre con- science j elle vous fera sentir ce que vous avez à espérer ou à craindre. LA COMTESSE DE BEAU JEU. Mais, mon révérend , vous offensez la majesté souve- raine ! COCTIER. Jamais on n'a osé parler ainsi à un monéirque. FRANÇOIS DE PAULE. Adieu, roi. Je me relire, puisque vous n'êtes pas dis- posé à m'entendre. Votre état est sérieux : malheur à vous si vous n'apercevez le danger qui vous menace , et si vous ne rentrez en vous-même. Quant à moi , je ne puis dissimuler la vérité. Sachez que la plus grande marque d'une conscience endurcie et qui oublie Dieu est l'indif- férence du pécheur qui pense ne jamais mourir, et qui éloigne cette idée pour se livrer à une sécurité fatale. Dieu redemande la vie aux rois comme aux autres hom- mes. Eh! que deviendraient les pauvres humains s'il n'était pas une heure où vous devez être jugés par celui qui vous a faits ! ( il sort. ) DE LOUIS XI. 87 SCÈNE XLII. LOUIS XI , LA COMTESSE DE BEAUJEU , COCTIER. LOUIS XI. Il me laisse dans la terreur. . . Et qui donc me guérira ! . . Mais je ne suis pas si mal , n'est-il pas vrai?. . . Dites-moi , dites-moi Je donnerais la moitié de mon royaume pour me sentir un peu mieux. (A Coctier.) Vous me tirerez de là , médecin? vous me l'avez promis. COCTIER. Je songe à de nouveaux remèdes; et si vous laites exactement tout ce que je vous recommande... Inouïs XI. O mon sauveur, je vous devrai la vie ! Oui , je lerai tout ce que vous me prescrirez Eli! ne fais-je pas tout? Guérissez-moi; je vous donnerai ce que vous voudrez. LA COMTESSE DE BEAUJEU. Sire, voilà trop long-temps que ce médecin promet de vous guérir et ne vous guérit point; sa science est trop incertaine pour que des jours aussi précieux à l'Etat ne dépendent que de lui seul. S'il est sur de ses remèdes, qu'il ose me répondre de vos jours sur sa tête ; il le faut. . . Parlez en ce moment , Coctier, et voyez si vous voulez prendre l'engagement solennel de rendre la santé au roi ou de perdre la vie. OOCTIER. Nous ne pouvons répondre de la guérison du mal que conditionnellement 3 il faut que la nature nous seconde , 88 LA MORT et quand elle est rebelle à un certain point, la science et les remèdes ne peuvent combattre les maladies enracinées. LA COMTESSE DE BEAUJEU. Allez , allez dire au saint homme qu'il revienne sur ses pas; dites-lui que le roi est disposé à l'écouter, qu'il le supplie de revenir. (Le médecin se retire.) SCÈNE XLIII. LOUIS XI , LA COMTESSE DE BEAUJEU. LA COMTESSE DE BEAUJEU. Mon père, écoutez votre fille; elle est touchée de l'as- pect vénérable de cet ermite : il semble envoyé de Dieu même, et votre état me fait tremljler. LOUIS xr. Cruelle fille, que m'annonces-tu? LA COMTESSE DE BEAUJEU. Cessez de vous confier à ce médecin, qui abuse de votre confiance , sans vous apporter le moindre soulagement. LOUIS XI. Je ne suis donc pas bien?... LA COMTESSE DE BEAUJEU. Vous n'êtes pas en danger; mais abandonnez -vous plutôt au saint homme , et pressez-le de faire un miracle . LOUIS XI. Où est mon médecin, où est mon médecin? où est le saint homme?... Que tous deux se réunissent pour chas- ser ma maladie. LA COMTESSE DE BEAUJEU. Le premier est un imposteur; j'ai vu comme il s'est li'oublé... N'espérez rien de lui. DE LOUIS Xf. 89 LOUIS XI. Qu'ils viennent tous deux ; je le veux. . . Qu'on ne m'a- bandonne pas ; on me laisserait mourir. SCÈNE XLIV. LOUIS XI, LA COMTESSE DE BEAUJEU, FRAN- ÇOIS DE PAULE, COCTIER. LOUIS XI , voyant François de Paule. Pourquoi m' avez-vous délaissé, vous en qui j'avais placé mon dernier espoir? Qu'ai-je fait , pour être ainsi traité? Vous avez accordé vos secours au dernier des hommes j et moi qui suis roi, vous vous refusez à mes prières! Pourquoi ne me guérissez-vous pas? Qui vous repousse loin de moi? Détestez-vous mon trône ou ma personne?. .. Point de médecin dans mes Etats qui puisse me soulager. Point de saint qui fasse des mii'acles. Ne puis-je payer ce que l'on fera pour moi? FRANÇOIS DE PAULE. Roi, ordonnez qu'on me laisse seul avec vous. LOUIS XI. J'y consens. C'est pour la première fois que j'accorde cela... Retirez-vous tous. ( La comtesse et Coctier sortent avec les gardes. ) SCÈNE XLV. LOUIS XI, FRANÇOIS DE PAULE. FRANÇOIS DE PAULE , après un silence. Roi, il n'est plus temps de feindre, ni de dissimuler; l'heure est venue qu'il faut oublier cette majesté fragile. 90 LA MORT cette autorité que les hommes vous ont confiée pour ré- gner sur eux. Votre corps épuisé va tomber en poussière; ne vous en occupez plus, cai' ses douleurs vont finir avec sa dissolution. Mais les douleurs de l'âme ont une autre durée, ne vous y trompez pas : votre âme ne périra point; et soulevée contre vous , elle peut faire votre supplice éternel... Je viens vous aider, comme mon frère, à fran- chir ce redoutable passage qui décidera votre sort à ve- nir. C'est la charité, le premier devoir de l'homme , qui m'impose la loi de vous parler ainsi. Roi mourant, toutes les grandeurs qui vous environnent vont vous échapper; mais savez- vous ce qui vous oppresse , ce qui vous em- pêche de respirer et de souffrir vos maux patiemment? C'est le poids des iniquités qui pèsent sur une âme où le remords n'est pas encore éteint. Ce remords vengeur et salutaire est le dernier cri de la conscience, ce juge in- corruptible qui s'élève contre nous , et nous punit jus- que sur le trône : c'est le dernier avertissement que le ciel vous envoie ; humiliez-vous ; le diadème ne sauve point des profonds remords ; heureux encore de les sen- tir I Rentrez dans ce cœur rempli de forfaits , pour en découvrir la source et y placer le repentir, premier gage de la réparation inévitable que vous devez aux bommes. Le venin du crime a ulcéré l'intérieur de votre âme, ab- jurez le crime, faites-en l'aveu éclatant , sans lequel son souvenir deviendra ineffaçable, et déposera contre vous dans l'éternité... Examinez votre vie, exposez-la toute entière à l'œil de Dieu qui en sonde les plus secrets replis; prévenez ses jugemens; que la voix du repentir sollicite sa clémence. Roi malheureux! vous n'avez plus qu'un instant pour éteindre sa foudre. DE LOUIS XI. 9 LOUIS XI. Quel frémissement s'est emparé de moi I Je tremble , et n'ose lever les yeux... Il m'inspire un sentiment qui m'était jusqu'alors inconnu. Comme son front m'inter- dit ! comme sa voix m'impose ! . . . Je ne puis me dé- fendre d'un respect involontaire... O vous qui prenez tant d'ascendant sur moi, homme sans doute supérieur et animé de l'esprit de Dieu ! épargnez-moi ; n'oubliez pas qui je suis. FRANÇOIS DE PAULE. Vous êtes un homme que la naissance a placé sur un trône, où depuis vingt-deux ans vous faites des malheu- reux, sans cesser de l'être vous-même. Ces reliques, ces pèlerinages sont autant de preuves de vos craintes. Oui, vous devez craindre, pour peu que vous portiez vos re- gards sur l'emploi de vos jours. LOUIS XI. Dans le rang où je suis, n'ai-je donc pas quelques pri- vilèges sur les autres hommes? Les rois ne méritent-ils pas des indulgences particulières, pour le fardeau péni- ble remis entre leurs mains? Ne devons-nous pas enfin attendre un plus large pardon de la Divinité, nous qui sommes son image sur la terre ? FRANÇOIS DE PAULE. Qu'osez-vous dire, roi! Quel orgueil insensé! Vous, un mortel faible, pécheur, abandonné à des passions pe- tites et cruelles, oserez - vous vous rapprocher de cet Etre suprême, votre souverain Juge. . . Plus vous aviez de pouvoir sur la terre, moins il vous sera pardonné d'en avoir abusé. Toutes ces dé volions ne sanctifient pas une Ame souillée de vices; l'image du sang versé vous suit ip. LA MORT partout, et les cris de ceux que vous avez persécutés in- liumainement étouffent votre prière craintive. LOUIS XI. Mais ceux dont j'ai disposé étaient mes sujets : n'a- vais-je pas droit d'ordonner d'eux pour des raisons d'Etat! FRANÇOIS DE PAULE. Dites plutôt pour votre intérêt aveugle et personnel. Vous avez méprisé les loisj vous les avez outragées. Aviez - vous le droit d'immoler à de simples alarmes la justice, l'humanité? Etiez-vous donc le Dieu delà terre et des hommes, pour leur imposer ce joug arbitraire et pesant? Les hommes vous avaient-ils dit : « Tu nous «emprisonneras à ta volonté, tu nous égorgeras, tu éri- « géras en lois sacrées tes moindres fantaisies , tu nous « écraseras comme l'insecte , dès que ton orgueil sera «blessé... » Roi, qui aUez bientôt disparaître, votre propre frayeur vous accuse et vous révèle ra]>surdité de ces criminelles prétentions. Il n'est plus temps de se li- vrer aux mensonges, voici le jour de la vérité. Soulagez- vous de cette masse d'iniquités qui vous pèsent ; laissez échapper des aveux trop tardifs, il est vrai, mais qui peu- vent désarmer la colère divine. Courbez sous cette main irritée votre tête coupable j criez-lui vos forfaits, afin d'obtenir, s'il se peut, miséricorde. LOUIS XI. MiUe terreurs m'agitent à la fois. Hélas! je vois revivre toutes les images que j'ai tâché en vain d'effacer; elles m'environnent de leurs formes hideuses et sanglantes... Dieu ! je crois avoir devant les yeux la première victime que je fis secrètement disparaître avant de parvenir au trône. . . Mon père est là, qui tourmente ma vue ; je le vois DE LOUIS XI. 93 me maudissant, se laissant mourir de faim, dans la crainte que je n'eusse mêlé du poison à ses alimens... Il meurt dans la douleur, détestant le jour de ma naissance... (Un silence.) Après lui , vîeut mon frère que la jalousie me fit persécuter, et à qui je fis à la fin donner la mort : cette mort m'entraîna à faire couler le sang , pour pouvoir jouir en paix de ce premier forfait... Que dis-je en paix! je me suis bien abusé... Je les vois tous avec des yeuxme- neçans se presser auprès du corps de mon frère. . . Que de victimes illustres s'élèvent de dessus l'écliafaud, malgré la hache qui a tranché leurs têtes ! Leurs cheveux hérissés me glacent d'horreur, et font dresser les miens... Le duc de Nemoui's me rejette le sang que je fis couler sur ses enfansj il me semble moi-même en être couvert. Est-ce que ces terribles images m'accompagneront toujours? FRANÇOIS DE PAULE. Qui peut les effacer, tant que la justice divine ne sera point apaisée? Voilà le premier châtiment que sa main vous impose j vous l'avez mérité, jugez-vous vous-même. Mais comment , malgré votive conscience , avez-vous osé accumuler tant de crimes? LOUIS XI. J'ai toujours compté sur un bon peccavi. FRANÇOIS DE PAULE. Pécheur superstitieux et non moins barbare ! qui a pu VOUS inspirer des idées aussi fausses , aussi injurieuses à la Divinité ? Vous n'avez point tremblé de l'offenser, ima- ginant sans doute pouvoir la désarmer un jour par de vaines démonstrations. C'est là le comble de l'aveugle- ment! Prince infortuné, dans quel abîme êtes -vous tombé î 94 LA MORT LOUIS XI. Mais avec la confession ne puis-je pas toujours comp- ter sur l'absolution? 11 n'y a point de prêtre qui me la refuse , qui puisse même m^e la refuser. Or, je vous pré- viens que je suis déjà absous de la plus grande partie de mes fautes. FRANÇOIS DE PAULE. Quel bomme ose absoudre?. . . C'est à Dieu seul de par- donner, et tous les crimes sont vivans devant ses regard». LOUIS XI. L'absolution n'est-elle pas l'affaire du confesseur? Il répond de tout ; ne suis-je pas délié , quand il a une fois prononcé Vabsolvo te 7 FRANÇOIS DE PAULE. Qu'entends-je ! O roi , si vous persistez dans cette er- reur funeste, tremblez !. .. Non, vous n'êtes point absous; et votre cœur dément lui-même le signe de la réconci- liation que vous croyez avoir reçu. Vous êtes-vous re- penti profondément? Avez-vous réparé une partie de vos crimes? Avez-vous senti renaître la paix dans votre âme? Etes-A'ous tranquille avec vous-même? Pouvez-vous lever vos regards avec confiance vers le tribunal de Dieu, votre juge? Aucun trouble n'empoisonne-t-il votre vie?... Non , vos pécliés ne vous sont pas remis , le souvenir de vos forfaits vous poursuit encore ; et c'est une pi*euve que, loin d'être effacés, ils s'élèvent contre vous. Rien n'est encore expié, et vous ne pouvez sauver votre âme de l'examen rigoureux qu'elle va subir, qu'en faisant autant de bien que vous avez fait de mal. Trois mots prononcés par un prêtre complaisant ne justifieront jamais un cœur coupable . DE LOUIS XI. 95 LOUIS XI. Quoi ! je ne suis pas encore absous ! . . . Eh bien , saint homme , étendez sur moi la main , et effacez mes crimes. FRANÇOIS DE PAULE. Pécheur couronné , qui avez vécu dans l'erreur et dans l'ignorance , je frémis sur vous î Hâtez-vous de sortir de la fange de ces idées absurdes. Nul mortel n'a le pouvoir d'effacer les taches dont votre ame est souillée ; elles ne peuvent échapper à l'œil de l'Eternel. LOUIS XI. J'en frémis I... Comment échapper à ce juge su- prême? Oui, je me sens bien petit devant lui... Hélas I je me sens mourir ; je souffre d'avance un supplice qui m'était encore inconnu... Ah! que dois-je faire? FRANÇOIS DE PAULE. Supprimer les impôts écrasans , qui foulent vos mal- heureux peuples 3 révoquer des lois injustes, dictées par des hommes avides ; faire sortir des prisons tous ces in- fortunés enlevés par des ordres arbitraires. LOUIS XI. J'ai ici plusieurs souterrains où sont des prisonniers ; mais je ■vous avertis que ce sont des prisonniers d'État. FRANÇOIS DE PAULE. Ou plutôt de VOS vengeances î LOUIS XI. Je retiens les uns depuis long-temps dans des cages de fer, les autres dans des cachots creusés sous ces tours ; mais si je les délivre , je crains qu'ils ne divulguent par toute la France ce que je leur ai fait endurer : ils per- suaderont aisément de leur innocence, et mon nom sera couvert d'opprobre. 96 LA MORT FRANÇOIS DE PAU LE. Quoi 1 vous avez abusé à ce point du pouvoir qui vous était remis? Vous avez enseveli des hommes vivans ? Vous leur avez fait sentir un esclavage pire que la mort? Ce soleil qui vous éclaire , ne vous reprochait-il pas d'avoir intercepté à votre semblable ses rayons bienfaisans ? De quel droit l'avez-vous privé pendant sa vie d'un air libre et pur? Vous êtes indigne de le respirer, après cette violation de la justice et de l'humanité! Comment avez- vous pu goûter un seul moment de plaisir ou de repos , en songeant que de malheureuses créatures gémissaient sous le poids de vos chaînes ? Voilà donc pourquoi vous corrompiez les hommes avec l'or des impôts , pour qu'ils servissent votre tyrannie , pour qu'ils gardassent vos pri- sons. Ah! que la royauté devient funeste, quand elle pèse de cette manière sur le genre humain I LOUIS XI. J'ai cru cette rigueur nécessaire au maintien de ma grandeur et de ma puissance . FRANÇOIS DE PAULE. Voilà le langage de la cruelle politique , qui trompe les souverains , et les endurcit pour leur propre malheur. Il est temps de réparer ces outrages faits aux lois divines et humaines ! LOUfS XI. Que je souffre ! FRANÇOIS DE PAULE. Vous souffrez , et vous dictez des arrêts de mort I Vous souffrez, et vous annez des bourreaux! Il vous manque d'avoir passé un an dans ces souterrains , pour frémir d'horreur et de pitié sur vos victimes. LE LOUIS XL 97 LOUIS XI. Hélas! que dites-vous? FRANÇOIS DE PAU LE. C'est ici que vous ordonnez les emprisonnemens... Eh bien, roi, venez, el respirez l'air que ces malheureux respirent ; voyez ce qu'ils souffrent. Yenez de ce pas ; que je vous conduise dans ces affreux cachots pour y briser leurs fers. LOUIS XI. Moi! FRANÇOIS DE PAULE. Oui 3 OU j'y descends seul, si vous ne m'y suivez pas. Je trouverai là un malheureux à consoler, un juste à raf- fermir 5 et si ma voix ne parle pas à votre cœur trop en- durci , elle soulagera du moins quelques victimes gémis- sant sous ces voûtes affreuses. LOUIS XI. Ah , que me proposez-vous ! Moi , descendre dans des cachots , en l'état où je suis ! Moi , pai-aitre devant ceux qui me maudissent , et dont l'aspect me causerait un effroi mortel ! C'est tout ce que je pourrais faire que d'ordonner qu'ils soient mis en liberté. FRANÇOIS DE PAULE. Non , prince : 11 faut voir par vos yeux leur déplorable situation ; il faut ordonner de votre bouche leur déli- vrance , afin que vos ordres soient exécutés en votre pré- sence , et que vous puissiez contempler le visage de vos victimes. Leurs regards vous en diront plus que mes pa- roles. Voilà le premier acte répara to ire .. . Vous hésitez , et dans ce moment peut-être un infortuné se livre au dés- espoir, appelle et hâte sa mort ; c'est un innocent qui va 7 98 LA MORT vous devancer devant le tribunal de l'Eternel , et vous y accuser. Voulez-vous augmenter le nombre de ceux qui élèveront des plaintes qui sei'ont écoutées?... Suivez- moi , ou je vous abandonne. LOUIS XI. Je ne sais à quoi me résoudre. . . Tremblant et frappé. . . Ah , ne m'abandonnez pas ! FRANÇOIS DE PAULE. Pourquoi trembleriez-vous en faisant un acte de justice? C'est au remords qu'il appartient de briser votre cœur; mais le remords même s'élève contre nous , quand il ne nous conduit pas à une entière réparation. LOUIS XI. Espérez-vous que cette démarche apaisera la ven- geance divine? FRANÇOIS DE PAULE- La miséricorde de Dieu est infinie : il ouvre ses bras paternels à tout péclieur repentant... Venez, soulevez- vous , prince ; j'espère que l'aspect de ces tombeaux où vous avez renfermé des êtres vivans vous imprimera une horreur salutaire qui vous fera crier devant Dieu et de- vant les hommes : Je suis coupable , j' miplore mon par- don, je voudrais pouvoir recommencer ma vie , je déteste mes actions passées , et je dévouerai les momens qui me restent h la justice et à l'humanité , dont j'ai toujours mé- connu les devoirs sacrés. LOUIS XI. Vous commandez, et je ne puis qu'obéir... Que suis- je donc devenu? Quel pouvoir, quel ascendant avez-vous pris tout à coup sur moi? DE LOUIS XI, 99 FRANÇOIS DE PAU LE. C'est celui de la vérité , de la vertu , dont je ne suis que^l'intcrprète. Si les hommes étaient moins faibles, moins tremblans devant l'autorité, ils vous auraient tous parlé comme moi. Quoi ! il ne s'est trouvé personne qui ait eu le courage de vous arrêter dans les routes sanglantes du crime ? LOUIS XI. Je n'avais jamais entendu parler ainsi... Vous me pro- mettez donc la guérison , si... FRANÇOIS DE PAULE. Oui , votre âme sera guérie. . . Ne tardez pas dav.intage ! IjCs instans sont précieux, (il le soulève. ) LOUIS XI. Comme vous êtes fort ! Vous me soutenez seul , malgré votre grand âge. FRANÇOIS DE PAULE. Le désir de servir mon prochain , de vous réconcilier avec Dieu , de vous faire faire une bonne action avant de mourir, me donne de nouvelles forces... Ordonnez à vos gardes de m'ouvrir le passage. LOUIS XI. Capitaine des gardes! (Le capitaine entre.) Marchez après moi sur les pas du saint homme , et faites tout ce qu'il vous dira. FRANÇOIS DE PAULE. Descendez tous avec moi dans les souterrains de ce château. Qu'on allume des flambeaux. (A Louis xi. ) Vous ne me quitterez point ^ nous devons remonter ensemble. ( Pendant cet intervalle la scène reste vide. ) loo 1.A MORT SCÈNE XLVI. (Le lliéàirc reproseule la chambre à coucher du roi ; au miheu esi ua lit, sul> lequel Louis xi est à demi couché, souleuu par la comlcsse de Beao- jeu el par François de Paule-, le dauphin esl au pied du lit avec le duc d'Orléans , les grands du royaume , le parlement , les mlnislres, le me'de- cin, enfin toute la cour en graud appareil. Des hérauts d'armes sont de chaque côté du lit. ) LOUIS XI, LE DAUPHL\, LE COMTE et LA COM- TESSE DE BEAUJEU, LE DUC D'ORLÉANS, ROCHEFORT, LE PREMIER PRÉSIDENT, LE PARLEMENT, FRANÇOIS DE PAULE , DOYAC , LEDAIM, TRISTAN, COCTIER, gra:v os du royaume ET OFFICIERS DE LA COURO'NE. FRANÇOIS DE PAULE , à Toreille de Louis xi. Accomplissez , prince , le dernier acte dont nous som- mes convenus. Achevez la réparation qui seule peut vous rendre digne de la clémence divine. LOUIS XI , d'une voix mourante. Princes de mon sang , et vous magistrats , que j'ai fait appeler pour assister à mon heure dernière , soyez té- moins de la petitesse de la royauté au moment qu'elle échappe... Voyez ici l'homme à qui vous avez prodigué tant de soumissions , dont la naissance a été célébrée par tant de réjouissances , et dont le cours de la vie a été marqué par une suite d'hommages... Bientôt je ne serai plus, et la mémoire de mes crimes est tout ce qui restera de moi... Ah! si vous pouviez connaître tout ce que je souffre... Une terreur inexprimable me saisit et aug- mente à mesure que j'approche de l'éternité. DE LOUIS Xr. lor FRANÇOIS DE PAULE. En réparant une partie du mal que vous avez fait , ne désespérez pas ainsi de votre salut. Dieu est plein de mi- séricorde. LOUIS XI. J'ai trop compté sur la vie, sur cette grandeur, sur ce funeste pouvoir qui me fut donné... Pourquoi m' a-t-on laissé commettre tant de forfaits ! Que n'a-t-il existé un tribunal, où la juste main de la loi m'eût arrêté dès îe premier pas ! J'ai trouvé des complices sans nombre, et presque point d'oppositions. J'ai traité l'espèce humaine comme un objet entièrement passif et insensible. Le mal que j'ai voulu s'est fait avec tant de facilité , que j'ai bientôt oublié tout remords. LA COMTESSE. Mon père , toutes nos prières. .. LOUIS XI. C'est en vain que je vous vois affecter cette tristesse apparente j mes yeux sont ouverts , et je sais bien que je meurs détesté. L'indignation des hommes m'annonce celle de Dieu... Quel frémissement me coupe la voix!... Mes sueurs reviennent... Suspends, juge suprême! Vengeur éternel, arrête! Je m'humilie sous ta main... Encore un moment... Vous tous , écoulez ce que je me hâte d'établir pour le bien général. . . Qu'on lise mon édit. ( On lit un edit qui révoque plusieurs abus et ordonne qu'on ne pourra plus faire emprisonner qui que ce soil sans cire lenu de faire son procès suivant les lois du royaume el par les tribunaux légitimes.) LA COMTESSE, k l'oreille de Louis xi. Ah , sire , quelle atteinte à la couronne ! I02 LA MORT LOUIS XI. Eli ! qu'est-ce que la couronne au moment où je suis?.. C'est le bien qu'il faut faire , et non ce qu'exige l'or- gueil... (On signe.) Je n'ai pas la force d'en dire davan- tage . . . O douleurs , ô remords , ô tourmens I . . . Mon fils a-t-îl signé I .. . Où est-il? Où étes-vous?... Ma vue s'est troublée, et je n'entends plus... Mon fils, souviens-toi qu'un jour tu mourras comme moi, et que cette vie passe rapidement... Le moment où on la quitte est af- freux pour celui qui fut méchant. ROCHEFORT. Jurez tous d'accomplir ce que vous venez de signer. TOUS ENSEMBLE. Nous le jurons. FRANÇOIS DE PAULE. O Dieu des miséricordes , toi qui envoies quelquefois des rois dans ta colère , et qui en fais la verge dont tu frappes les peuples, daigne pardonner à cet infortuné monarque, et reçois-le dans ton sein! Voici le moment où n va paraître devant ton tribunal redoutaljle. Prends pitié de lui, car dès cette vie même il a été puni par les remords. COCTIER , la main sur la poilrlne du roi , qui est tombé. Il expire. FRANÇOIS DE PAULE , se mellant à genoux. O Dieu ! fais qu'aucun de ses successeurs ne lui res- semble . (11 reste dans celle posture pendant les trois scènes suivantes.) DE LOUIS XI. i(>3 SCÈNE XLVII. LES ACTEURS PRÉCÉDENS. LES HERAUTS d' ARMES , a haute voix. Le roi Louis xi est mort ! le roi Louis xi est mort ! le roi Louis xi est mort ! ( Après un silence. ) Vive le roi Charles viii ! TOUS I-ES ASSISTANS repèlent = Vive le roi ! vive le roi ! (Acclamation générale. Les portes du fond s''ouvrent; on se presse en tumulte des seigneurs entrent et se jettent aux pieds du nouveau roi. Les princes, les grands et les magistrats entourent le jeune roi et tombent à ses pieds. LOUIS d'orléans. Sire , je me jette à vos pieds comme votre premier sujet , et vous supplie d'accepter mon hommage et ma fidélité . LE COMTE ET LA COMTESSE DE BEAUJEU. Nous nous prosternons devant Votre Majesté. Recevez la soumission de tous vos sujets. LES GRANDS. Sire , nous vous rendons hommage . MEMBRES DU PARLEMENT. Votre parlement, sire, vous apporte les témoignages de sa fidélité accoutumée. CHARLES vm. Hélas I que vous me troublez ! Je n'ai que la force de connaître mon insuffisance ! Je suis si jeune pour ce fardeau immense, et l'on m'a si mal élevé!... Ce que je viens de voir et d'entendre me consterne au point que je io4 LA MORT ne sais ce que je dois faire. En envisageant l'étendue de mes devoirs, j'en suis si épouvanté que je serais tenté de renoncer au poids de la couronne. DE LA VAQUERIE. Sire , il faut remplir le rang où la Providence vous a placé. La crainte salutaire qui vous domine est le garant d'un règne heureux . CHARLES vin. Comment pouvoir gouverner à mon âge? Je suis un enfant élevé dans la solitude. LA COMT£SSE. Nos avis vous aideront, sire; accordez-nous votre confiance . LOUIS d'Orléans. Sire , vous connaissez mes seutimens , et combien je vous suis attaché. LA COMTESSE. Le roi se choisira un conseil. DOYAC , à voix basse. Madame, nous nous recommandons à vous. LEDAIM , à voix basse. Vous savez que nous ferons aveuglément tout ce que vous voudrez. LA COMTESSE. N'écoutez que les conseils de votre sœur, et méfiez- vous de tous les autres, moins intéressés à la dignité de votre couronne. CHABLES VIII. Déjà ma couronne!... Eh! parlez-moi de rendre heu- reux mes peuples ! DE LOUIS XI. io5 LOUIS d'or LÉ ANS. Suivez les mouvemens de votre cœur. DE LA VAQUERIE. Sire , votre parlement , après avoir délibéré , vous donne en ce jour la première preuve de son zèle, en dénonçant ceux qui , sous le dernier règne, ont abusé de la confiance du roi. Permettez en conséquence qu'il ordonne à ses huissiers de se saisir de leurs personnes , effets et papiers, avant qu'ils puissent les soustraire. CHARLES VIII. Qui sont-ils? Je ne les connais pas. DE LA VAQUERIE. Je vais les nommer à Votre Majesté. Tout le royaume les voit d'un œil d'indignation, Doyac , Ledaim, Coctier, Tristan, .Huissiers, saisissez-les, afin qu'ils soient jugés selon la teneur des ordonnances. DOYAC. Sire, grâce ! grâce ! LEDAIM. Nous sommes innocens . COCTIER. Est-ce que notre personne serait responsable des suites de notre art? TRISTAN. J'ai obéi au roi : sera-ce donc un crime aux yeux d'un monarque ? CHARLES VIII. Dites-moi^ monsieur d'Orléans, que doîs-je faire ?. . . Je n'ai point envie de commencer mon règne par des actes de rigueur. Leur physionomie me déplaît fort, il est vrai ; mais il faut examiner s'ils sont innocens ou coupables ^ io6 LA MORT puisqu'ils sont accusés par mon parlement el par la voix publique. LOUIS d'op.léans. Sire, vous ne pouvez vous dispenser de les faire arrêler et de les livrer aux lois. S'ils sont innocens, ils en four- niront les preuves ; s'ils sont coupables , c'est outrager ceux qu'ils ont opprimés et favoriser l'injustice que de leur faire grâce. En les faisant juger par le parlement, organe et dépositaire des lois , vous n'avez rien à vous reprocher. Agens infatigables d'iniquité sous le dernier règne, ce n'est point pour de pareils criminels qu'il faut avoir de la clémence. Ce sont les oppresseurs des peuples, les corrupteurs des rois. CHARLES VIII. Je me rends à votre conseil , et les abandonne à la justice. DOYAC. Ab ! malheureux que nous sommes ! Nous avons perdu un roi si bon pour nous ! LEDAIM. Hélas! j'ai toujours craint que cela ne nous arrivât. LES HUISSIERS. Marchez, marchez. TRISTAN . Comment, moi qui arrêtais les autres ! COCTIER. Et moi, qui l'ai guéri tant de fois! ( Les huissiers Icscmméuenl. DE LOUIS X[. 107 SCÈNE XLVIII. CHARLES VIII, LA COMTESSE DE BEAUJEU, LOUIS D'ORLÉANS , ROCHEFORT, DE LA VA- QUERIE , PRINCES, GRANDS, MAGISTRATS. LA COMTESSE. Sire, la régence m'est due par mon rang et par la vo- lonté du feu roi. LOUIS d'orléans. Comme premier prince du sang , mes droits sont au- dessus des vôtres, madame, et je saurai les faire valoir... Sire, je vous prie de décider. J'ose me flatter d'avoir votre choix : vous savez comme je pense. la comtesse , à Toreille de Charles viii. Sire, vous devez vous méfier du duc, parce qu'étant si près de la couronne, votre personne n'est pas en sûreté entre ses mains, et il peut abuser du pouvoir à son avantage. CHARLES vin. Que dites-vous? est- il possible? LOUIS d'orleans. Sire , je vous jure que personne ne vous sera plus fidèle . LA COMTESSE. Sire, livrez-vous à nous, je vous en conjure, pour la sûreté de votre personne et la conservation de votre au- torité . LOUIS d'orléans Ne vous livrez point, sire, à des soupçons aussi peu fondés. Craignez plutôt les conseils de l'ambition. roS LA MORT LA COMTESSE. Quoi, sire, vous refuseriez de m'écouter, moi, voire sœur, et qui vous suis dévouée depuis mon eufauce 7 CHARLES Vin. Eli bien, soit. Je veux la paix. LOUIS d'orléans. Quoi, sire, vous cédez si facilement?.. Oubliez- vous?.. CHARLES Vm. Comment résister? Elle m'entraîne. PLUSIEURS GRANDS , au duc d'Orléans. Prince , soutenez vos droits : nous sommes de votre parti . LE DUC d'orléans. J'en appelle aux Etats. LA COMTESSE. Nous nous y verrons... (Emmenaui le roi.) Quittez ces tris- tes lieux , sire , et reposez-vous sur nos services et nos conseils. SCÈNE XLIX. LOUIS D'ORLÉiVNS, ROCHEFORT, DE LA VA- QUERIE, SEIGNEURS, JtfAGISTRATS. PLUSIEURS SEIGNEURS. Nous sommes pour la comtesse de Beaujeu. AUTRE PARTI du côte du duc d'Orléans. Et nous, nous sommes du côté du duc d'Orléans. UN PARTI. lia force en décidera. DE LOUIS XL loç) AUTRE PARTI. Eh bien, soit... au sort des armes. ROCHEFORT, au président. Suivons-les, et tâchons de calmer les deux partis. DE LA "VAQUER lE. Oui, mettons nos efforts à prévenir une guerre civile. SCÈNE L. ( Louis XI est e'iendu sur son lit, le visage couvert du drap. ) FRANÇOIS DE TAULE, se relevant, après avoir prié. A peine a-t-il fermé les yeux, qu'il est ab^indonné — Les factions impatientes n'attendent pas que son corps soit glacé. C'est à qui s'emparera du faible héritier de sa couronne, pour régner sous son nom. Les princes s'ar- ment, et le sang des citoyens va couler. Que n'arrêtent- ils leurs regards sur ces restes inanimés qui vont se dis- soudre!... Voilà tout ce que laissent le puissant et le faible : de la poussière I .. . Princes insensés, qui faites tant de bruit , qui causez tant de maux pour agrandir ou consolider un vain pouvoir, venez , voyez de près ce ca- davre encore couvert des marques de la royauté. Il vous apprendra où se termine votre ambition 5 vous sentirez si c'est la peine de troubler le monde pour y dominer un instant. Venez lire sur ce front les chagrins que le dia- dème y laisse encore empreints... Trônes du monde, qu'étes-vous pour celui qui gît sur ce lit , et qu'est-il lui-même à présent?. . . Oui , il est un Etre au dessus des rois... Vous, qui vous jouez ici-bas de l'innocence et de la faiblesse , que devenez - vous lorsque vous périssez ? iio LA MORT DE LOUIS XL Votre mémoire demeure en exécration sur la terre , et vous restez nu devant les regards de celui qui juge les pensées . ( 11 quille la scène à pas leiils, levanl les mains au ciel et jetant un dernier regard sur le corps du feu roi, qui reste seul. ) (On voit ensuite entrer des valets qui s'approclicnt d^un air indifferaDt, pour commencer les cérémonies funLraires *. ) * On aurait pu tracer ici une dernière scène d'une terrible vérité, mais on rabandonne à rimagination : la sépulture d'un monarque haï ! Il est des choses que le poète sent, mais que les règles de l'art et les convenances lui défendent de peindre. J'ai regret que le goût timide de mon pays m'ait interdit ce dernier et vigoureux tableau, qu'il m'a fallu «acriller. FIN. IMPPIMKEIli KT FUNDERIi: DE J. PINARD, RDE d' ANJOU-DAUPHINF , N'* 8 , A PARIS. OUVRAGES DE FONDS DE LA LIBRAIRIE d'aMBROISE DUPONT ET COMPAG?(IE. LES JESUITES MODERNES, par M. l'abbé Martial Marcel de La Ro- che-Arnaud , I vol. in-8o. Prix : 4 fr. 5o c. ATLAS UNIVERSEL, indiquant les éuiblisiernenx des Jénùies , avec la manière dont ils divisent la terre , suivis des éi'énemens remarquables de leur histoire ; 46 cartes coloriées. Prix: 4 fr. LA SAINTE-ALLIANCE, LES AN- GLAIS ET LES JÉSUITES , par M. Grassi, auteur de la Charte tur- que ; I vol. in-S". Prix : j fr. LES JESUITES, ou les autres Tar . tufps, comédie en cinq actes, par M. Gosse, 26 édition. Prix : 4 fr. 5o c. RESUME DE LA DOCTRINE DES JESUITES, ou Extraits des asser- tions dangereuses et pernicieuses sou- tenues par les Jésuites dans leurs ou- vrages dogmatiques , in-i8. Pr. ; 3 f. RESUME DE L'HISTOIRE DES JE- SUITES , depuis l'origine jusqu'à la destruction de leur société; suivi de Considérations sur les causes de leur élévation et de leur chute, et d'un examen critique de leurs constitu- tions; par Ch. Laumier; i vol. in-i8. Prix : 3 fr. 5o c. MEMOIRE A CONSULTER sur un sjslème politique et religieux , ten- dant h renverser la Religion et le Xrdne , par M. le comte de Montlo- sier; i vol. in-S". Prix : 6 fr. Le même , in-i8. Prix : 3 fr. 5o c. DENONCIATION AUX COURS ROYALES, relativement au système religieux et politique signalé dans le Mémoire a consulter , précédée de nouvelles Observations sur ce sys- tème , et sur les apologies qu'on en a récemment publiées, par M. le comte de Montlosier; i vol. in-S". Prix : ■j fr. 5o c. PETITION A LA CHAMBRE DES PAIRS, précédée de quelques obser- vations sur les calamités objet de la pétition, par M. le comte de Mont- losier; in-8'. Prix : 3 fr. 5o c. NOUVEAUX ESSAIS POETIQUES, par Mlle Delphine Gay ; i v. in-i8, grand-raisin. Prix : 4 ^'^• HISTOIRE DE DON JUAN D'AU- TRICHE, par M. Alexis Dumesnil ; I vol. in-8o, 2e édition. Prix : 4 ('■ C03I1MENT AIRES POLITIQUES ET HISTORIQUES sor le traite ru Prince, de ISIachiavel, et sur r.' Anti-Machiavel, par M. le mar- quis de Rouillé, lieutenant-général; 1 vol. in-S". Prix : 5 fr. 5o c OEUVRES CHOISIES ET INEDITES D'EVARISTE PARNY, publiées sur les manuscrits autographes de l'au- teur ; 3 vol. in-i8 , grand raisin , or- nés d'un portrait et de deux vignettes d'après Isabey et Devéria , augmen- tées d'une Notice par M. Tissot, et du Discours de réception, a l'Acadé- mie , de M. Jouy, successeur de Parny. Prix : i5 fr. RESUME GEOGRAPHIQUE DE LA PENINSULE IBERIQUE, conte- nant les royaumes de Portugal et d^Esfingrie , par M. le colonel Bory de Saint-Vincent , correspondant de l'Institut, anciennement attaché au dépôt de la guerre; i vol. in-i8, de 6oo pages , orné d'une carte coloriée dressée par l'auteur ; ?.e édition. Prix ; 5fr. RESUME GEOGRAPHIQUE de la Grèce , contenant la Turquie d'Eu- rope et l'Archipel; i vol. in-i8, orné d'une carte coloriée. Prix : 5 fr. POUR PARAITRE le ler avril CHRCAÎQUES DE FRANCE, poè- mes, par madame Amable Tastu ; i vol. in-S", grand papier vélin. (Premier recueil. ) OUVRAGES DE FONDS. ROMANS DE M. MORTONVAL. L* D*MF. DE Saint-Buis, chroniques du temps de la Ligue f i58-). 4 *"'• in-12. Prli: ijf. Krat -EccEsio , ou l'Aulo-da-Fé de 1680 , d(U\léme édition. 4 vol. in-i 2. Prix. i2f. Le Tartufe mouer.ve, deuxième édit., 3 vol in-12. Prix: 10 fr Le Comte de Villamator , ou l'Es- pagne sous Charles IV, deuxième édit. 5 vol. in-12. Prix : i5fr. HISTOIRE MILITAIRE DES FRANÇAIS, PAR CAMPAGNES, DEI-UIS LE COHMENCEHEKT TE LA REVOLUTION JDSQd'a LA FIN DU BECHE DE SAPOLÉOH. rREftï^ÈRE LIVRAISO.X. HISTOIRE DE L'EXPEDITION D'E- GYPTE ET DE STRIE , par M. Ader ; ornée des portraits de Bona- parte et de Klébcr , des plans de la bataille des Pyramides et de la bataille d'Ahonkir; des cartes d'Egypte et de Syrie, i vol. in-8. Prix : 6 fr. Le même, i vol. in- 18, 3fr. '5c. HISTOIRE DES CAMPAGNES DE FRANCE, en 18.4 et i8i5, par M.jMortonval; ornée dedciix vignet., dont une représente Napoléon sur le rocher de Sainte-Hélène, avec le plan des batailles de Paris, de Toulouse, de Waterloo, et d'une carte de France. 1 vol. in-i8. Prix : 6 fr. Le même , i vol. in-iS, 3 fr. ^5 c. TROISIÈME LIVBAIO». traits de Kelltrmann et de Masséoa . du plan de la bataille de Loano , et de la carte des Alpes, i v. in-8. Prix : 6 fr. Le même, i vol. in-i8, 3 fr. ^5 c. QDATRlàlIE LIVRAISON. HISTOIRE DES CAMPAGNES D'ALLEJUGNE ET DE PRUSSE, de 1802 a 1806, par M. Saint-Mau- rice ; ornée de portraits , plans et carte. 1 v&I. in.;8. Prix : 6 fr. Le nême, 1 vol. in-i8 , Bfr.-Sc. CingUlÈXE LITKAISO.V. HISTOIRE DES CAMPAGNES D'ALLEMAGNE, de 1806 a 1809, par M. Mortonval; ornée de portraits, plans et tarte, i vol. in-8. Prix : 6 fr. Leméme, I vol. in-18, 3 fr. ^5 c. LA PEYRONNEIDE, Épltre a M. de Peyionnet, par MM. Méry et Bar. thélemy. 8« édit. Prix : i fr. 5o c- LA VILLELIADE, on la Prise du Château de Rivoli, poème héroï-co- mique en cinq chants, par MM. Méry et Barthélémy; quinzième édition, ornée de vignettes. Prix ; S fr. ROME A PARIS , poème en quatre chants, par MM. Barthélémy etMéry. In-8'., sur beau papier; 8e édition. Prix : 2 fr. 5o c. EPITRE ALX CHIFFONNIERS, sur les crimes de la presse, par J. P. G. Viennct. Prix : 1 fr, EPITRE A L'EMPEREUR NICO- LAS, en faveur des Grecs, par M. 'V'iennet. Prix ; i fr. REVUE POLITIQUE de ia FRANCE en 182(3, par l'auteur de la Iletiie yoUdque de l'Europe en iSïS. 2e édition. Prix : 4 ^^- 5o c. HISTOIRE DES GUERRES D'ITA- POESIES, par m.idamey/malfer«/0,, LIE, tomel, Campiîgnef âet-'yilf/es; ■ 2*' édition, ornée de vignettes; 1 vol. par X.-B. Saintine; crnée des por- ■ in-18, grand raisin vcJin. Prix : 6 fr. IMPRIMERIE ET FOHnERlE DE }. TlitARD, RUE D AXjnU-DAUrilIKE , CLÉOPATRE, TRAGÉDIE EN CINQ ACTES, EN VERS. CLÉOPATRE, TRAGÉDIE EN CINQ ACTES ET EN VERS, Par m. Alexasbre SOUMET, D E l'a CAUÉMIE FRA3SÇA1SE. REPRÉSENTÉE , POUR LA PREMIÈRE FOIS , SUR LE THÉÂTRE ROYAL DE l'odÉON, LE 2 JUILLET 1824. A PARIS, CHEZ J.-N. BARBA, LIBRAIRE, EDITEUR DKS OEUVRES DE MM. PIGAULT-LEBRUN PICARD ET ALEXANDRE DU VAL. PALAIS-ROYAL, HERRIÈRE LE THÉaTRE-FRAKCaIS , K°. 5l, ET COUR DES FONTAINES N'". -. " 1825. PERSONNAGES. CLEO PATRE , reine d'Egypte. ANTOINE. OCTAVIE. MARCELLUS , fils d'Antoine et d'Oclavie. OCTAVE CÉSAR. PROCULEIUS , ambassadeur de Rome. EROS , esclave d'Antoine. PHORBAS , ministre de Cléopâtre. THÉONE , femme de Cléopâtre. Suite ce Cléopâtre. Suite d'Antoine. Suite d'Octave César. La scène se passe à j4Iexandrie. PARIS.— IMl'KIMKRIK DK FV1^. KUK RACINE. N, 4. PLACE DE l'oUÉO. CLÉOPATRE, TRAGÉDIE. ACTE PREMIER. Le théâtre représente l'intérieur d'une pyramide égyptienne; des autels dédiés aux dieux Blânes s'élèvent dans le fond; une coupe et un vase de fer sont placés sur un de ces autels. SCÈNE PREMIÈRE. CLÉOPATRE, assise à côté d'un monument funèbre et dans l'attitude d'une personne occupée de profondes méditations, PHORBAS, THÉONE, Femmes de Cléopâtre. CLÉOPATRE. 1 OU S mes ordres , Phorbas, sont-ils exécutés ? PHORBAS. Oui, Reinej.... des poisons en secret apprêtés Par mon ordre déjà cette coupe est remplie. CLÉOPATRE. Ainsi, ma destinée est près d'être accomplie! 2 CLÉOPATRE. PHORBAS. Je viens de déposer sur ce funèbre autel, Dans ce vase d'airain, le reptile mortel Dont la morsure ardente et de sommeil suivie Attaque sans douleur les sources de la vie. CLÉOPATRE. Que mes sujets, Phorbas, ne soient point informés Des funestes apprêts PHORBAS, lui donnant ua poignard. Les sucs envenimés Que recueillent pour nous les peuples de l'iVurore Ont trempé ce poignard. CLÉOPATRE, se levant. Je m'appartiens encore : Mon sort, grâce à tes soins , repose entre mes mains. Cours chercher maintenant l'envoyé des Romains, 11 peut être introduit. PHORBAS. En quels lieux? CLÉOPATRE. Ici même. PHORBAS. Quoi! madame CLÉOPATRE. Obéis à mon ordre suprême. ACTE I, SCÈNE II. SCÈNE II. CLÉOPATRE, THÉONE, Femmes de Cléopâtre, THEONE. Pourquoi, m'intercUsant votre auguste entretien, Votre cœur aujourd'hui se ferrne-t-il au mien? Le second des Césars vient-il pour mettre en cendre Les remparts protégés par le nom d'Alexandre ? Fuyant loin des palais et du temple des Dieux, Vous cherchez les tombeaux où dorment vos aïeux ; Vous venez habiter ces pyramides sombres.... CLEOPATRE. Mes aïeux !... Mon aspect doit indigner leurs ombres. Tu ne fus pas témoin du jour où mes vaisseaux , Pour fuir loin des combats, fatiguèrent les eaux; Du jour où la discorde , à mon sceptre fatale. Sur les mers d'Actium vit renaître Pharsale. Peins-toi ce fier tyran, cet Octave odieux , Entraînant au combat Rome entière et ses Dieux; L'onde roulant au loin l'appareil de la guerre. Et la mer décidant les destins de la terre. Vois avec tous leurs rois, l'Aurore et l'Occident, Se chercher, se heurter, sur l'abîme grondant; Ces apprêts de la mort, ces luttes redoutables; De l'airain des vaisseaux les chocs épouvantables; Ces flots que rougissaient des flots de sang humain; Ces torches qui, dans l'air se traçant un chemin, 4 CLEO PAT RE. Et (lu feu des volcans couvrant les mers profondes, S'attachaient à nos mâts , et brûlaient sous les ondes Trois cent mille guerriers qui, sur le bord des eaux , Contemplaient de leur camp le combat des vaisseaux; Et Piome à vaincre Rome elle-même occupée, Sur des flots tout couverts des débris de Pompée. Antoine eût triomphé!... Ciel vengeur, qui Teût dit! Dans mon indigne cœur la terreur descendit. Cléopâtre au milieu des horreurs de la guerre Redevint tout à coup une femme vulgaire. Ce honteux souvenir me poursuivra toujours. Pour la première fois , je tremblai pour mes jours; Je tremblai... Sur les flots de cette mer sanglante , Antoine, en frémissant, vit s'enfuir son amante, Théone, et mon vaisseau, dans ces momens d'effroi j Emporta sa fortune et sa gloire avec moi. Immobile, frappé d'une horreur imprévue, r^e sceptre impérial disparut à sa vue. Et , loin de son rival me suivant éperdu. Il lui laissa le monde avant qu'il fût perdu. De ses sombres remords domptant la violence , Sur mon vaisseau funeste il s'assit en silence ; Durant trois jours entiers, courbé sous son affront. De sa robe sanglante enveloppa son front. Refusa de me voir , et sa douleur profonde Eut son dernier hommage à l'empire du monde. Il arrêta sa fuite aux rochers de Pharos ; Perdu pour ses guerriers , c'est là que ce héros Se punit de mon crime et , détestant ma chaîne , ACTE I, SCENE III. 5 D'un instant de faiblesse éternise Isl peine. Et moi, depuis ce jour témoin de ma terreur^ La honte de ma chute irrite ma fureur. C'en est fait , d'une fuite odieuse et parjure Il ne m'appartient plus de réparer l'injure; Une indigne alliance, un traité clandestiji, A l'ennemi d'Antoine enchaîne mon destin. THÉONE. Au vainqueur d'^Actiimi!... CLÉOPATRE. Oui , Théone, à lui-même. J'espérais à ce prix sauver mon diadème ; Mais, comblant aujourd'hui ses nombreux attentats, Octave en conquérant marche vers mes états; Le Nil a vu flotter sa voile triomphante, Devant ses bataillons l'Egypte s'épouvante. L'imprudent, qui bientôt peut être à mes genoux... Mais son ambassadeur s'avance, laisse-nous. SCÈNE III. CLÉOPATRE, PROGULÉIUS, conduit par Phoibas. CLÉOPATRE. Vous le voyez, seigneur, cette superbe reine, De tant de nations autrefois souveraine , Avant sa dernière heure, est réduite à chercher L'asile d'un tombeau , qui la puisse cacher. 6 CLÉOPATRE. Rome soumet les rois à son obéissance; Mais dans ce lieu , du moins, j'échappe à sa puissance, Et j'habite, bravant les terreurs du trépas, Un séjour où la main des tyrans n'atteint pas. PROCULÉIUS. Au vainqueur d'Actium lorsqu'un traité vous lie, Quelle crainte. . . CLÉOPATRE. -<* Et pourquoi, désertant l'Italie, Sur le Nil aujourd'hui , chargé de combattans , Octave montre-t-il ses étendards flottans ? Pourquoi menace-t-il et l'Afrique et l'Asie , Et ces propres remparts du sort de Pélusie? Est-ce par le ravage et les embrasemens Que Rome et votre maître acquittent leurs sermens ? PROCULÉIUS. Loin qu'à votre ruine Octave ici conspire, De l'Orient soumis il vous offre l'empire. CLÉOPATRE. A moi! PROCULÉIUS. Mais sa prudence, en changeant vos destins, De votre dévouement veut des gages certains. CLÉOPATRE. Par un traité de paix je me suis engagée; Qu"exige-t-il de plus d'une reine outragée? ACTE I, SCENE 111. 7 PROCULÉIUS. Antoine, seul auteur de nos dissensions, Disparaît et se cache aux yeux des nations. CLÉOPATRE. Eh bien? PROCULÉIUS. C'est à vous seule à nous livrer l'asile , Où loin de nos regards le coupable s'exile; A nous livrer ses jours, par le sénat proscrits; L'empire d'Orient , madame , est à ce prix. CLÉOPATRE. Souveraine des Rois , Rome a-t-elle pu croire , Comme de leurs états disposer de leur gloire ; Et que livrant Antoine aux rigueurs du sénat , J'achèterais la paix par un assassinat? Non, seigneur, le trépas que vos haines demandent. Mes mains.... PROCULÉIUS. Nos dieux, nos lois, nos vertus le commandent. CLÉOPATRE. Vos vertus.... Les forfaits suivront jusqu'au tombeau Rome, dont un forfait consacra le berceau. Un roi, pour la fonder, assassina son frère; Le second des Brutus a poignardé son père; Vos destins, (^ue César pouvait seul soutenir, 8 CLÉOPATRE. Comme ils ont commencé, méritaient de finir; Et Rome si fidèle à ses vertus rigides Se montre à l'univers entre deux parricides. PROCULEIUS. Étrangers à l'orgueil, vaincus dans les combats, Les Rois tremblent sous Rome, et ne la jugent pas; Et, quoi quelle commande, ils n'ont pas l'habitude D^abandonner leur âme à tarit d'incertitude. Prévenez son courroux.... Surtout n'attendez pas Qu'Octavie en ces lieux, arrivant sur mes pas.... CLÉOPATRE. Quoi ! l'épouse d'Antoine. . . PROCULEIUS. Oui, madame, Octavie A rejoint nos vaisseaux, de ses enfans suivie. Vous savez quels desseins l'y peuvent appeler? CLÉOPATRE, Oui, ma haine suffit pour me les révéler. Son fier ressentiment n'est que trop légitime; Mais tout mon cœur frémit au nom de la victime ; De quel droit , poursuivant un héros malheureux , D'implacables Romains. . . PROCULEIUS. Il s'est armé contre eux. ACTE I, SCENE III. CLÉOPATRE. Marius et César firent la même guerre; De tous vos dictateurs c'est le crime ordinaire y Le Destin l'a trahi , ne l'en punissez-pas... PROCULÉIUS. Les oracles de Rome ont dicté son trépas. Au seul bruit de son nom , tous nos peuples frémissent ; Les mânes des héros dans leur tombe gémissent; La flamme de Vesta s'éteint sur nos autels; Les Dieux mêmes , du haut des parvis immortels , Semblent s'associer à nos justes alarmes : Leurs images d'airain laissent tomber des larmes; De Cybèle et de Mars les ministres sacrés, L'œil en feu, les pieds nus, les membres déchirés. Ont déserté leur temple, et la voix du grand-prêtre Commande hautement qu'on lui livre le traître. CLÉOPATRK. Jamais. PROCULÉIUS. A son destin vous faut-il immoler? Ce refus n'a-t-il rien qui vous fasse trembler ? Et lorsque votre amour nous offense et nous brave , Connaissez-vous quel sort... CLÉOPATRE. Oui, je connais Octave. Je vous trouve fidèle à toutes ses leçons. lo CLÉOPATRE. Mais ftioi , j'ai contre lui ce fer et ces poisons. (Elle s'approche de l'autel et l'cDaLrasse. ) O mort ! mon seul espoir , je t'embrasse avec joie! Allez dire à celui dont l'ordre vous envoie, Qu'une reine, bravant son pouvoir inhumain. L'attend dans ce sépulcre un poignard à la main. PROCULÉIUS. Je vous laisse le temps d'écouter la prudence ; Songez à votre peuple , à votre indépendance, A garder ce bandeau , que, jaloux de ses droits , Octave affermit seul sur la tète des rois. SCÈNE IV. CLÉOPATRE, seule. Romain fallacieux!.... Dans quel trouble il me jette!... Devenir parricide ou servir en sujette ! Courber ce front royal sous un joug odieux , Ou de mes attentats épouvanter les dieux ! L'Orient m'est promis, et, quand mon règne expire, Je n'ai que trop de pente à ressaisir l'empire.... Mais trahir, mais traîner sous un fer assassi^i!... Je frémis du combat qui s'élève en mon sein. ACTE I, SCÈNES V et VI. ii SCÈNE V. CLÉOPATRE, THEONE. THEONE, entrant précipitamment. Le croiriez-vous , madame? Antoine est au rivage. CLÉOPATRE. « Antoine ! THÉONE. Il a quitté sa retraite sauvage. Il me suit, il vous cherche , et le peuple empressé... CLÉOPATRE. De quel front soutenir son regard courroucé ? Comment oser revoir, sur le bord de l'abîme, Un héros qui ne doit son malheur qu'à mon crime? Qu'il ignore du moins par quel traité fatal Je m'étais enchaînée au sort de son rival... c'est lui... Je sens combien sa colère m'est due. SCÈNE VI. CLÉOPATRE, ANTOINE. A]NTOINE. Savez-vous ce qu'ici vous annonce ma vue? «2 CLÉOPATRE. Ètes-vous préparée au sort qui vous attend, Madame? Aux bords du Nil, on signale à l'instant Ces vaisseaux qui, de Rome annonçant la colère, De nos crimes communs nous portent le salaire. Pensez- vous qu'un tombeau puisse vous protéger? Que font tous vos soldats à l'heure du danger? Qu'avez- vous résolu? Cléopâtre va-t-elle Proposer à son peuple une fuite nouvelle ? A'^os vaisseaux d'Actium au départ sont-ils prêts ? CLEOPATRE. La guerre a ses affronts, la gloire a ses regrets; César même.... ANTOiyE. Il tomba; mais, l'entourant d'hommages, Le Capitole en deuil s'ouvrit à ses images , Sa tombe partagea l'encens de nos autels , Et son astre prit place auprès des immortels. Quels droits me reste-t-il à tant de renommée ? Moi, déserteur de Rome et traître à mon armée; Moi, qui loin des combats, vous cherchant sur les eaux , Enseignai , comme vous , la fuite à nos vaisseaux ; Moi, qu'on a vu toujours, de ma honte idolâtre, Prostituer ma gloire aux pieds de Cléopâtre , Au joug des voluptés m'asservir lâchement , Au lieu d'être empereur , n'être que votre amant ; Aux rives du Cydnus , dans l'Egypte et la Grèce , Comme un trophée errant promener ma maîtresse , ACTE I, SCÈNE VI. i5 M'avilir en riant, me parer de vos fers. Et d'un spectacle infâme amuser l'Univers ! CLEOPATRE. C'en est trop.... Par le sort Cléopàtre opprimée, A ce comble d'affront n'est point accoutume'e. A d'assez noirs transports mon cœur se livre ici , Ce n'était pas l'instant de me parler ainsi; D'après cet intérêt qu'à Rome on vous voit prendre, Près du Nil, dans son camp, pourquoi ne pas vous rendre ? De nos liens pesans fuyez le déshonneur ; Peut-être les Romains vous attendent, seigneur. La tremblante Octavie auprès d'eux vous protège, Le licteur vous prépare un glorieux cortège; Fuyez , fuyez ces murs consacrés au trépas ; Ma garde est toute prête ef va guider vos pas. ANTOINE. Ce vil départ auquel vous voulez me résoudre Augmenterait ma honte, au lieu de m'en absoudre. « Le voilà , dirait-on , ce chef de nos guerriers, « Qui, pour suivre une amante, a flétri ses lauriers, » Et qui consent enfin à trahir sa querelle, » A Finstant de mourir ou de vaincre pour elle ! » CLÉOPÀTRE, De vaincre ! ANTOINE. Le malheur m'a laissé des amis' Octave n'obtient pas tout ce qu'il s'est promis; ,4 CLÉOPATRE. Je puis encor, suivi de plus d'un capitaine. Ébranler dans ses mains sa fortune incertaine. CLÉOPATRE. Vous, Antoine? A>TOIjSE. Des lieux où je m'étais caché. Mon œil sur l'univers demeurait attaché ; Et tandis que César m'enchaînait en idée, J'encourageais au loin l'Afrique intimidée. J'armais Archélaûs et déjà ces remparts ; Rassemblent d'Actium tous les restes épars ; Milhridate, Amyntas, les princes de Syrie, Défendront avec nous les murs d'Alexandrie, CLÉOPATRE. *■ Vous combattrez pour moi? ANTOINE. Canidius, séduit, Vainement vers ces lieux par Octave est conduit; Il ne s'armera pas contre un maître qu'il aime; Et ce n'est pas en vain que, le cherchant lui-même, Sur des soldats charmés et fiers de me revoir, J'irai de ma présence essayer le pouvoir. CLÉOPATRE. Oui, quand Rome s'apprête à les réduire en cendre. Rendez à ces remparts le glaive d'Alexandre ; Que pour moi votre amour... Mais quelle est mon erreur? Vous n'êtes plus amant, vous êtes empereur; ACTE I, SCÈNE VI. i5 Aux grandeurs d'un héros j'osai me croire unie ; D'un tel excès d'orgueil je dois être punie. Qu'importe qu'un tyran dise au peuple romain Que vous m'abandonnez pour désarmer sa main ? Qu'importe qu'à son gré , disposant de ma vie , Il venge dans mon sang les affronts d'Octavie? Sur vous, sur votre cœur, j'ai perdu tous mes droits; Allez porter ailleurs le nom de roi des rois; Adieu , je ne suis plus la rivale de Rome, Et l'Occident jaloux redemande un grand homme. ANTOINE. Je ne vous quitte pas; c'est surtout à vos yeux Que je veux aujourd'hui faire mentir les Dieux ; Ma honte dans ces murs fut long-temps enfermée, Ces murs me reverront avec ma renommée ; Je demandais au Ciel la guerre , le danger, Actium m'est rendu, je songe à me venger; Et quels que soient les maux que m'ait faits Cléopâtre, Je ne m'en souviens plus lorsque je puis combattre. CLEOPATRE. Non, je dois d'Actium expier tout l'affront: Ces aigles, ces drapeaux qui flottaient sur mon front; Le carnage , la mort sur ma flotte arrêtée; La mort de toutes parts à mes yeux présentée. Pénétrèrent mes sens d'une invincible horreur. Ton courage imprudent redoubla ma terreur ; Antoine du trépas semblait chercher l'atteinte ; Tu prodiguais tes jours, et je connus la crainte. i6 CLÉOPATRE. Sur les flots étonnés t'entraînant avec moi , Peut-être un peu d'orgueil s'unit à mon effroi ; Peut-être ton amante osa se faire gloire De l'avoir emporté même sur la victoire , Et j'étais en secret fière de tes revers, Lorsqu'à force d'amour tu perdais l'univers. Mais crois-tu qu'un combat de notre sort décide? Non , Antoine est toujours le descendant d'Alcide. AiS'TOINE. Cléopâtre ! CLÉOPATRE. Tu vois , sur l'autel déposés Ces poisons. ANTOINE. Ciel! CLÉOPATRE. Croyant tous nos liens brisés , Esclave d'un tyran , et n'étant plus aimée , Dans ce lieu , pour mourir, je m'étais enfermée ; Je punissais ainsi mon forfait odieux. Rends-moi ce noble cœur que m'enviaient les Dieux. César a triomphé , mais sans pouvoir t'abattre. ANTOINE. Je n'ai pas fui César, j'ai suivi Cléopâtre. A ses feux , à son crime , à son égarement, A ses affreux transports reconnais ton amant. Sur ce rocher témoin de mon affreux délire , Mes pleurs, mes pleurs amers n'étaient pas pour l'empirt ACTE I, SCÈNE \ I. r; Et quand je perdais toul, sceptre, lauriers, honneur, Le regret de ta perte occupait seul mon cœur. Dans ce cœur avili je craignais de descendre , Je n'osais regarder le tombeau d'Alexandre, J'attendais du trépas la fin de ma douleur; Mais toujours le trépas s'écarte du malheur. Après trois mois enfin , j'ose revoir tes charmes ; Du fond de cette tombe élançons-noîis jiux armes; A mon glaive aujourd'hui tu peux te confier; Yiens, c'est à la victoire à nous justifier. FIN DU PREMIER ACTf: Cî.i:OPATRE. ACTK DEUXIEME. Lt: théâtre représente le palais «le Cléopâtre. SCÈNE PREMIÈRE, ANTOINE, ÉROS. ANTOINE. Uu I, ces ambassadeurs, si superbes naguère, Sont venus minviter à suspendre la guerre. ÉROS. Quoi ! seigneur , les Romains , après tant de fureurs ? ANTOINE. Ils se flattent, Éros, que leurs deux empereurs. Verront aux bords du Nil leurs haines étouffées , Et régneront en paix sous les mêmes trophées; Avant la fin du jour, un solennel traité Par Octave en ces lieux doit m être présenté. EROS, avec joie. Par Octave, seigneur!... ANTOINE. Sous les murs d'Alexandre Ses plus braves guerriers avec lui vont descendre. ACTE II, SCÈNE I. ig Pour me donner le temps de grossir mon parti, A le revoir , Éros , ma haine à consenti ; Je l'attends ici-même , et mon âme agitée, De sentimens divers malgré moi tourmentée... ÉROS. Pourquoi vous défier des offres qu'il vous fait? Pourquoi d'un tel accord repousser le bienfait? On dit que dans son camp Octavie arrivée, Cherchant ici l'époux dont vous l'avez privée... ANTOIIVE. Non , mon épouse , ami , soumise à ses destins , N'a point quitté le Tibre et ses palais lointains. Saurais-tu t'affranchir d'une pitié vulgaire ? ÉROS. Qu'ordonnez-vous? ^ ANTOINE. Octave a retardé la guerre. Il délibère , il craint de tenter les combats ; S'il croyait triompher , il n'hésiterait pas. Je vaincrai... Sa terreur m'en donne l'assurance. Mais si le sort deux, fois trompait mon espérance , Si devant mon rival je devais succomber , Entre ses mains , Eros , je ne veux pas tomber. ÉROS. Je vous entends , Seigneur. ANTOINE. Dans les champs du courage , ao CLÉOPATRE. De ce glaive autrefois j'honorai ton jeune âge ; Jure , si par les Dieux j 'étais ehcor trahi , One ce fer dans mon sang.... |ÉROS. Vous serez obéi; Recevez mon serment; jamais Rome.... ANTOINE. Silence ! De mon heureux rival le cortège s'avance. SCÈNE II. OCÏA-VE, AIS'TOIJNE; suite dÛcUvc, suite d'Autoiue. ARTOIKE, Fier vainqueur d'Actium , parle, que me veux-tu? OCTAVE. Te rendre à ton épouse , à Rome , à la vertu : Fils du oremier César , et frère d'Octavie, Octave triomphant vient veiller sur ta vie. ANTOINE. Épargne à mon orgueil l'affront d'une pitié , Que je n'implore pas de ta fausse amitié ; Octave, seul espoir de la grandeur romaine, lu m'es connu.... Dis-moi le dessein qui t'amène. OCTAVE. A ton tour , un moment dépose ta ûerté , ACTE II, SCÈNE II. -n Et ne prends de conseils que de l'adversité. Je le donne la Thrace, et la Grèce, et rÉj3ire; Des Parthes à tes lois je soumettrai l'empire. Yeux-tu subir un joug qu'ont subi les Romains? Veux-tu rester sous moi le second des humains ? ANTOINE. Le second des humains!... Mais celui qui m'outrage, A-t-il donc oublié qu'il n'est que mon ouvrage ? Quand Octave paisible, à l'abri du danger, Héritait de César au lieu de le venger , C'est moi qui, m'adressant à la foule agitée, Déployai du héros la robe ensanglantée. J'exaltai ses bienfaits , j'expliquai ses desseins. Je fis parler son sang contre ses assassins : Et bientôt leurs palais, brùlans dans les ténèbres, Servirent de flambeaux à ses honneurs funèbres. 3'ai relevé deux fois tes destins abattus, Brutas t'avait détruit, j'ai renversé Brutus; C'est appuyé sur moi que tu montes au faîte , Et toujours mes lauriers ont couronné ta tête. OCTAVE. L'empire où Ton verrait régner deux empereurs , Ne serait qu'une arène ouverte à leurs fureurs. Je ne veux point d'égal. ANTOINE. Je ne veux point de maître, UCTAV!:. César îe fut. 2^ CLÉOPATRE. ANTOINE. César était digne de l'être. Si tu veux que pour toi je prodigue mon sang , Il faut, comme César, justifier ton rang. L'espères-tu ? ♦ OCTAVE. Je suis le fils de ce grand homme. ANTOINE. Oui, César t'adopta pour se venger de Rome. De la paix cependant si ton cœur est épris , Je puis y consentir; mais apprends à quel prix. OCTAVE. V Parle. ^ ANTOINE. J'ai quelques droits à ta reconnaissance ; Mes crimes sont bien grands, ils ont fait ta puissance. Souviens-toi de ces jours où nos divisions Assuraient le repos de trente nations ; Où l'on vit trois tyrans. Octave, moi , Lépide, Conclure dans le sang une paix homicide; Renvoyer leurs soldats pour garder des bourreaux. S'abandonner entre eux les têtes des héros , Aux mânes de César immoler Rome entière. Et de leur apanage assignant la frontière. S'assurer l'un à l'autre un empire inhumain , Sur les trois grands débris de l'univers romain : J'allumai, j'excitai cette fureur impie; Qu'en imitant Sylla notre remords l'expie. ACTE II, SCÈrsE II. 20 Osons renouveler cet acte solennel, Qui fit un citoyen d'un si grand criminel. Que de la liberté le règne recommence. OCTAVE, Abdiquer le pouvoir! quelle est donc ta démence? La liberté parfois produit les grands états , Mais lorsqu'ils sont créés ne les gouverne pas. Tous ces peuples , ces rois frémissant dans leur chaîne , Tous ces grands élémens de la grandeur romaine , Toujours changeant , toujours prêts à se révolter , De leur centre commun tendent à s'écarter. Il faut qu'un seul pouvoir, les confondant ensemble , Dans ses vastes liens les presse et les rassemble; Telle est la politique et ses effets constans ; Je recueille aujourd'hui l'héritage du temps. Pour un peuple déchu de son patriotisme, La liberté n'est plus qu'un adroit despotisme, Qu'un piège insidieux , qu'un combat inhumain Entre les rois du jour et ceux du lendemain. Dans l'armée, au Forum, dans nos champs, dans nos villes , Ses feux n'allumeraient que des guerres civiles ; Son prestige est détruit, ses beaux jours sont passés; Le poignard de Caton nous en instruit assez ; Avant de se frapper, sois bien sur qu'un tel homme Sonda profondément la blessure de Rome. Quels étaient ses destins? Que vit-il dans ses rangs? Jamais la république, et toujours des tyrans; lit quand Ce'sar régna par le droit de l'épée. Il n'asservit point Rome, il détrôna Pompée. 24 CLÉOPATRE. Qu'ont produit de Drutus les complots odieux ? Ils n'ont fait que placer mon père au rang des Dieux. Un trône est élevé , tous osent y prétendre ; César peut en tomber, Sylla peut en descendre. Moi-même, tôt ou tard, je puis l'ensanglanter, Mais il existe enfin, je prétends y rester; Et Rome doit souffrir le joug du rang suprême , Depuis que ses enfans sont plus forts qu'elle-même. AîsTOIINE, Rome doit le souffrir ! mais Straton , Publius , L'intrépide Marcel, l'ardent Icilius, Dans leur cœur indigné la liberté respire; îls peuvent.... OCTAVE. Conspirer, s'armer, troubler l'empire ; Je plains la liberté , si dans ses oppresseurs Elle croit aujourd'hui trouver des défenseurs. De quel droit des Romains avides d'opulence, Dont on a tant de fois acheté le silence. Citoyens sans amour pour leur propre cité, Proconsuls sans vertus, ou tribuns sans fierté. Sénateurs sans courage, et depuis quatre lustres Portant de chef en chef leurs trahisons illustres. Voudraient-ils imiter les vainqueurs desTarquins? Je vois des mécontens, non des républicains. J'oppose leur nom seul à leur ligue impuissante; Tous ces Brutus, meurtris de leur chaîne récente, Naguère sous un maître esclaves absolus, ACTE II, SCÈNE II. -iS Insultent le pouvoir, parce qu'ils ne l'ont pins. La liberté, dis-tu, réclame leurs hommages ? De nos anciens héros consulte les images , Nos divins Scipions, nos vieux Cincinnatus, Grands par leur pauvreté, libres par leurs vertus; Leurs ombres frémiraient , sublimes et stoïques , De voir de tels Romains dans leurs rangs héroïques; Et la liberté fière , et qu'on n'abuse pas , S'indigne d'un encens qui lui vient de si bas. Je règne; mon pouvoir est le seul légitime, Et contre mes drapeaux ta valeur est un crime. ANTOINE. Vous qu'enchaînait César au bout de l'univers , Daces , Germains, venez, les chemins sont ouverts ; Des Alpes vers nos murs vous pouvez redescendre; De nos fameux vainqueurs Rome n'a que la cendre ; Et du fond des tombeaux , pour arrêter vos pas , Camille et Scipion ne se lèveront pas; Venez, Octave seul commande à l'Italie; De mollesse énervée , impuissante et vieillie , Rome succombera sous le poids des revers , Et des mains des tyrans passera dans vos iers. OCTAVE. Souviens-toi d'Actium. ANTOINE. Souviens-toi de Philippe, Et que l'orgueil d'Octave à ce nom se dissipe. Dans le fond tles marais , habile à te cacher, 26 * CLÉOPATRE. Il me fallut moi-même aller t'en arracher; On ne t'en vit sortir qu'au bruit de ma victoire , Et tu vins, tout tremblant, chercher ta part de gloire. OCTAVE. Vaincu , tu veux courir à de nouveaux combats ? ANTOINE. J'eusse accept^a paix si je ne l'étais pas. OCTAVE. N'entends-tu pas la voix de Rome qui t'appelle? A>T0I>E. J'irai de tes revers lui porter la nouvelle. OCTAVE. Ta haine dans son sang veut encor s'assouvir! ANTOINE. La délivrer de toi , n'est-ce pas la servir ? OCTAVE. Au nom du grand César. ANTOINE. Son ombre te rejette. OCTAVE. L'univers nous regarde. A^■TOI^'E. Il verra ta défaite. O C TAV E , à ses guerriers. Romains, vous l'entendez, lui-même a prononce. ACTE II, SCEWE II. 27 Ne voyez plus en lui qu'un rebelle insensé , Qu'un traître, quelles lois le glaive doit abattre, Que vous venez juger plus encor que combattre : Ses pâles bataillons n'offrent pour ennemis Qu'un chef déjà vaincu, des rois déjà soumis; Romains, ne laissez pas votre gloire imparfaite, Achevez d'Actium l'immortelle défaite ; Dispersez ces débris de vingt peuples errans , La fortune de Rome a passé dans vos rangs. ANTOINE, à ses guerriers. ' Rois , guerriers , vétérans , blanchis dans les alarmes , On vous montre des fers ; montrez, montrez vos armes ; Il a , dit-il , pour lui les Dieux de Rome.... Non; La Rome qu'il commande a perdu ce grand nom. L'esprit qui l'animait passe aux lieux où vous êtes ; Octave vainement s'assure en ses conquêtes. Vainement son orgueil insulte à vos grands cœurs. Des vaincus tels que vous font pâlir leurs vainqueurs. Venez.... Arrachons-lui sa trompeuse vicloire. Il combat pour l'empire, et nous pour notre gloire. Sachons nous affranchir de son joug oppresseur; Marchons.... Mais quel objet... OCT.VVE. Ton épouse et ma sœur. Elle vient elle-même, implorant un parjure, Chercher peut-être ici quelque nouvelle injure. Si son cœur généreux e^ méconnu du tien , Je t'attends près du Nil après cet entrelien. 28 CLÉOPATRE. SCÈNE ni. ANTOINE, OCÏAVIE. OCTAVIE. Croyez-vous votre épouse assez infortunée , Seigneur ?.,.. Ai-je rempli ma triste destinée ? Je suis chez Cléopâtre, aux pieds de son amant? Que manque-t-il encore à mon abaissement? J'espérais , quand vos soins prétendirent me plaire, De mon frère et de vous désarmer la colère ; J'espérais mettre un terme à vos dissensions, Et mon hymen promit la paix aux nations ; Mais , bien loin de fléchir des projets homicides De deux Romains rivaux j'ai fait deux fratricides; Et le monde trompé me demande, en pleurant , Compte de ce bonheur dont j'étais le garant. Je ne suis point venue, en épouse importune, Vous affliger du soin de ma propre fortune , Ni, rappelant ici des sermens méprisés. Invoquer les saints nœuds que vous avez brisés ; Livrez, livrez votre âme au transport qui la flatte; Mais, Seigneur, rendez-nous le vainqueur de Phraate, Et que Rome, autrefois si fière d'iui tel fils. Détache vos drapeaux des remparts de Memphis. Le grand César, atteint par le trait qui vous blesse^ A-t-il sacrifié l'empire à sa faiblesse ? Imitez sa vertu, vous quPfuivez ses pas ; brûlez pour une esclave et ne le soyez pas, ACTE TI, SCÈNE III. 2g Et que l'amour, content d'une telle victoire. Laisse au moins dans votre âme une place à la gloire. ANTOINE. Madame , rappelez votre orgueil offensé ; Ne donnez plus de pleurs au sort d'un insensé , Qui se rend criminel en détestant son crime. Je suis de mes erreurs la première victime... OCTAVIE. Abjurez , abjurez des combats inhumains. ANTOINE. Je ne serai jamais le second des Romains. Les Romains.... C'est pour vous qu'ils ont proscrit ma vie. Octave a contre moi les douleurs d'Octavie ; Vos pleurs, de la vengeance ont donné le signal, Et jusqu'à vos vertus , tout me devient fatal. OCTAVIE. Non , jamais ma vertu ne te sera funeste ; Ne me fais point haïr le seul bien qui me reste; Libre dans mes ennuis de me cacher du moins. Mes pleurs n'eurent jamais que les Dieux pour témoins ; Quand tes fils rappelaient ton nom à leur mémoire, J'expliquais ton absence en faveur de ta gloire ; Je leur disais, le Partbe ou le Germain domptés, Les Francs si belliqueux par ton bras arrêtés; Et tous les deux, brûlant de suivre un grand exemple. Pour bénir les destins , m'entraînaient vers le temple. Sois Romain, ose rompre un joug insidieux. Est ce donc là de toi ce qu'attendaient les Dieux? 3o CLÉOPATRE. ANTOINE. Octave et moi , malgré le nœud qui nous rassemble , pans le même univers ne pouvons vivre ensemble. Du Tibre en ce moment reprendre les chemins , Serait livrer l'Egypte au courroux des Romains ; Votre frère, à son char traînant la reine esclave.... OCTAVIE. La reine !... Ce n'est pas ce quelle attend d'Octave. ANTOINE. Comment!... Que dites-voifs? OCTAVIE. Je l'accuse à regret. Mais, liée au vainqueur par un traité secret.... ANTOINE. Un traité ! Cléopâtre ! OCTAVIE. Oui, seigneur, elle-même ; Elle esoérait ainsi sauver son diadème. Proculéius.... ANTOINE. Non, non, vos esprits abusés.... OCTAVIE. Vous doutez de la foi de mes discours.... Lisez. ANTOINE , lisant. c( Je connais les devoirs que mon trône m'impose, » Qu'il soit par cette paix pour j'amais affermi; ACTE II, SCÈNES IV et Y. .îi }) De nos divisions j'ai trop iong-tenips gémi ; » J'accepte le traité qu'Octave me propose. » Cléopatrf. » SCÈNE IV. LES PRÉCÉDENS, ÉROS. ÉROS. Seigneur, elle vous cherche ici ; De quelque noir transport son cœur semble saisi , Dérobez votre épouse à sa vue ennemie. Évitez les malheurs.... SCÈNE V. LES PRÉCÉDENS, CLÉOPATRE. CLÉOPATRE. Pourquoi, belle Octavie, Vous refuser vous-même aux honneurs glorieux Que la sœur de César doit prétendre en ces lieux ? Le peuple qui se presse autour de mes images , Aurait à vos genoux apporté ses hommages ; Abandonnant mon temple et mes autels déserts , Il aurait... • ANTOINE. * Quels complots m'ont été découverts ! A quel prix , de César réclamant l'indulgence , Nourrissiez-vous l'espoir de tromper sa vengeance? Pourquoi dans vos remparts, madame, à mon insu, 3-? CLÉOPATRE. L'ambassadeur de Rome a-t-il été reçu ? De quel trône à vos vœux offrait-il la conquête? CLÉOPATRE. Il me venait, seigneur, demander votre tête. De ses desseins cachés dévoilant la noirceur , Octave l'envoyait... Interrogez sa sœur : Admise aux grands secrets de Rome et de l'armée , De ce projet sans doute elle fut informée. ANTOINE. Eli î que m'importe Octave et ses vœux inhumains , Quand de vos trahisons j'ai la preuve en «les mains ; Quand ce lâche traité... ? CLÉOPATRE. Daignerez-vous m'entendre ? ANTOIINE. Vous traitiez avec Rome. CLÉOPATRE. Oui , j'osais y prétendre. Vous en donnez l'exemple en ces lieux... Mais, seigneur, Ai-je de son forfait signé le déshonneur? Rome m'a-t-elle vue, à ses-projets docile, .Lui promettre vos jours , lui livrer votre asile ? Et n'ai-je pas rompu moi-même en frémissant Un pacte qu'on voulait sceller de votre sang? ( .A Octavie.) Ma flotte, mes états, mes trésors, mes armées. ACTE II, SCÈNE V 33 Tant de peuples soumis au joug des Ptolémées, Et le triple bandeau d'un front déifié , Pour soutenir ses droits j'ai tout sacrifié; Il a préparé seul ma ruine prochaine; Et lorsqu'à mes malheurs l'honneur même l'enchaîne, Vos complots ANTOINE, passant entre «"loopifre et Oclavie. Arrêtez et respectez son deuil ; Vous avez fait ma honte, elle fait mon orgueil ; Esclave de sa gloire , à son pays fidèle , Les femmes que dans Rome elle a pris pour modèle , Lui fesant un courage au-dessus du malheur, Ont gravé sur son front la fierté de son cœur. (A Octavie. ) Oui, tant que la vertu conservera son temple, Aux plus saints devoûmens tu serviras d'exemple ; Je puis être coupable envers Rome, envers toi, Mais nul ne doit oser t'outrager devant moi. CLÉOPATRE. Ah, Dieux! ANTOINE. Viens, suis mes pas , fuyons ton ennemie; Je rougis de moi-même et suis fier d'Octavie. (Il l'entraîne.) 34 CLEO PATRE. SCÈNE VI. CLÉOPATRE, seule. Impitoyables Dieux , de ma honte témoins, De votre amour pour moi, je n'attendais pas moins. Voilà cette Octavie ! et pour m'ôter l'empire , Jusque dans mon palais ma rivale conspire ! Antoine, à mon pouvoir si long-temps enchaîné, Vers sa perfide épouse est enfin ramené. Mais je viens de donner le signal des batailles; Mes guerriers en tumulte ont franchi ces murailles, Le sang coule , on combat déjà de tout côté ; D'Antoine et de César j'ai rompu le traité. Si ce fer quelque jour dans le sang d'Oclavie J'en ai l'espoir.... Combien ma superbe ennemie. En ce moment fatal , doit jouir de l'affront D'avoir fait chanceler ce bandeau sur mon front, De m'avoir fait douter de la grandeur suprême , De m'avoir fait douter des Dieux et de moi-même! FIN DU DEUXIEME ACTE. ACTE III, SCENE I. 55 ACTE TROISIÈME. Même décoration. SCÈNE PREMIÈRE. GLÉOPATRE, THÉONE. THÉOJNE. Aux fureurs des combats Antoine abandonné, Jastifie en ce jour le dieu dont il est né ; Il brisera les fers de l'Egypte opprimée : Canidius , le chef de son ancienne armée , A rejoint nos drapeaux, et, dans ses flots plus lents, Le Nil des fiers Romains roule les corps sanglans. Bannissez la terreur dans vos regards empreinte. Pourquoi ne voir partout que des sujets de crainte ? Lorsque tout vous annonce un triomphe certain , Pourquoi douter encor des faveurs du Destin ? GLÉOPATRE. Peut-être ce triomphe, objet de ton envie. Sera le plus affreux des malheurs de ma vie, Théone ; et Cléopâtre , en ce fatal moment , N'ose faire des vœux même pour son amant. THÉONE. De ce nouveau revers quel est donc le mystère, Madame ? 36 CLÉOPATRE. C LÉO PAT RE. Vainement je voudrais te le taire. Les pleurs de ma rivale ont triomphé a£jner leur flotte , au sortir des combats , ACTE III, SCENE III. 59 Dans leurs retranchera en s , et presque sons nos portes Us ont aux bords du Nil rallié leurs cohortes. CLÉOPATRE. Suivi de ses guerriers , Antoine vient à nous ; Il traîne en conquérant l'Egypte à ses genoux ; Dans un lâche sommeil lorsqu'il me croit plongée, Qu'il apprenne en tombant que je me suis vengée. SCÈNE III. ANTOINE, ÉROS; Guerriers, Peuple. ANTOINE. Oui, peuple, la fortune a suivi nos guerriers, Elle nous a rendu l'empire et nos lauriers ; Mes affronts ne sont plus , et j'ai vu la victoire Effacer Actium des fastes de l'histoire. Déjà l'aigle de Rome, envolé vers les eaux, Regagne, en frémissant, l'abri de ses vaisseaux. Mon rival a pâli devant ma renommée , Les débris de ma fuite ont vaincu son armée. Allez et sur l'autel faites fumer l'encens ; Offrez à tous vos Dieux mes vœux reconnaissans; Bientôt nous reprendrons nos armes glorieuses , Et bientôt loin du Nil nos mains victorieuses Iront reconquérir les dépouilles des Rois , Qu'aux murs du Capitole attachaient mes exploits. ÉROS. Quel jour choisissez-vous pour ordonner des fêtes ? 4o CLÉOPAÏRE. L'étendard des combats flotte encor sur nos têtes, Seigneur, et les Romains près du Nii ralliés S'ils osaient relever leurs fronts humiliés, Les Rois mes lieutenans veilleraient sur ma gloire; Je laisse à leur courage achever ma victoire; Et sous mes étendards avant de revoler Je dois sécher des pleurs que j'ai trop fait couler. ÉROS. Il est donc vrai, seigneur , la fortune jalouse, Après tant de revers sourit à votre épouse ? Loin du Nil, pour jamais vous laissant entraîner.... A^T0INE. C'est Cléopâtre , ami, que je viens couronner. ÉROS. Cléopâtre !.... ANTOINK. Pardonne à ma coupable flamme , Aux transports, aux tourmens , aux fureurs de mon âme. Quel est donc cet amour que je traîne après moi? Oui , je viens en subir l'impérieuse loi. De la sœur de César séparant ma fortune, Lassé d'une contrainte à tous deux importune. Je viens rompre ma chaîne en présence des Dieux. Ces fêtes , cet encens, ces flambeaux radieux. Brillent pour mon amante; et ma main fortunée S'apprête à la conduire aux autels d'Hyménée, ACTE III, SCÈNE III. 4i Phr un affront sanglant j'ai causé ses douleurs; Le bandeau nuptial doit essuyer ses pleurs. ÉROS. Mais ce fatal traité ? ANTOINE. Lui rendait la puissance. Elle a dû me punir de ma trop longue absence. Elle est accoutumée à l'encens des mortels. Exigeons-nous des Dieux qu'ils se passent d'autels? A Cléopâtre enfin tout mon sort s'abandonne ; Je ne la juge point, Éros , je lui pardonne. Notre hymen fut toujours son vœu le plus ardent, Et le seul que mon cœur... ÉROS. O délire imprudent ! Sur quel fragile appui votre bonheur se fonde! ANTOINE. Eh! que ferais-je, ami , de l'empire du monde, De ce char triomphal reconquis devant toi , Si Cléopâtre encor n'y montait avec moi ? Pour bien connaître, Éros, le prix d'un diadème , Il faut en décorer le front de ce qu'on aime ; Quel transport de la voir assise à mes cotés , Telle qu'elle apparut à mes yeux enchantés, Quand aux bords du Cydnus , les peuples dans l'ivresse Venaient la saluer du beau nom de déesse ! Ah! lorsque ma fureur entraînait mes guerriers. Kl CLÉOPATRË. A ses pieds en espoir j'apportais mes lauriers; * De mes exploits nouveaux ma tendresse s'augmente; Je retrouve à la fois ma gloire et mon amante ; La victoire aujourd'hui scelle notre imion ; Aux drapeaux de César j'attacherai son nom; J'agrandirai son temple ainsi que sou empire. Fier de porter son joug , ma vaillance n'aspire Qu'à jeter à ses pieds ces Romains orgueilleux. Ils changent d'empereur , ils changeront de dieux. SCÈNE IV. CLÉOPATRË, ANTOINE. CLÉOPATRË. Que tardez-vous , seigneur? l'Egypte vous contemple , Tout un peuple à l'envi se presse vers le temple ; Le cri de la victoire et l'encens des autels Élèvent jusqu'aux cieux vos exploits immortels. Jamais le Nil courbé devant votre puissance Ne vit dIus d'allégresse et de magnificence. Les parvis de nos Dieux de palmes sont couverts ; Venez vous y montrer en roi de l'univers. A vos ordres mes soins en ont ajouté d'autres ; Peut-être seront-ils mieux suivis que les vôtres ; Et, pour un jour si beau, j'appelle sur vos pas Quelques témoins , seigneur, que vous n'attendez pas. AUTOIISTE. Madame.... ACTE III, SCÈNE IV. 43 CLÉOPATRE. En couronnant une si belle flamme , Nul regret, nul remords ne vient troubler votre âme? ANTOllyE. Je sais combien ce jour causera de douleurs ; Mais... CLÉOPATRE. Il verra couler plus de sang que de pleurs. Tu n'es pas de retour de cette fête impie , Barbare ; pensais-tu que ma haine assoupie Te laisserait en paix dicter mon déshonneur? Il fallait par ma mort acheter ton bonheur, Et, traînant vers tes Dieux les restes d'une amante, Leur offrir en tribut ma cendre encor fumante. ANTOINE. Qu'entends-je? CLÉOPATRE. De mon cœur que t'es-tu donc promis ? Je ne fuis pas deux fois devant mes ennemis. Tu voulais des dangers, j'en offre à ton courage ; S'il en est temps encor, vole affronter l'orage. Bientôt l'indigne objet qui l'emporte sur moi. Ne pourra partager que des fers avec toi. Tu verras si je sais venger mon diadème ; Et mon trône en tombant t'écrasera toi-même. ANTOINE. Que dis-tu, Cléopâtre? Et quelle affreuse erreur Ici de tes transports allume la fureur? 44 CLÉOPATRE. Quel délire insensé de ton esprit s'empare? D'Octavie à jamais lorsque je me sépare, Lorsque de notre hymen élevant les autels , Je te prends pour épouse aux pieds des immortels; Quand je viens couronner l'objet que j'idolâtre... CLÉOPATRE. Pour épouse , qui ? Moi ! ANTOINE. Tu pâlis , Cléopâtre. SCÈNE V. ÉROS, LES PRÉGÉDENS. ÉROS. On vous trahit, Seigneur; déjà de toutes parts La terreur et la mort volent sur nos remparts. Revenue aux combats, plus forte et plus altière, Dans le sein de nos murs pénètre Rome entière; Les chemins sont livrés... Secrètement vendu , Le peuple égyptien sans combats s'est rendu. Déjà de ce palais la garde prisonnière.... ANTOINE. ^ Grands dieux! Quoi! Vos discours, leur horrible mystère, (Regardant Cleopâtrc) C'était... Oui, je n'en puis douter. CLÉOPATRE. Reconnais-moi. Punis- moi d'un forfait qui me perd avec toi; ACTE ÎII, SCÈNE VI. 45 , Étouffe dans mon sang ma sombre jalousie, Et les affreux transports dont mon âme est saisie. De l'erreur aux forfaits , des forfaits au trépas , Les Dieux , d'un bras d'airain , précipitaient mes pas ; Prompts à venger sur moi leur justice outragée, Ils m'ont ouvert l'abîme et je m'y suis plongée. Prends ce fer.... hâte-toi de me donner la mort. Profite d'un instant de honte et de remord ; Crains des crimes plus grands avant mon jour suprême, Sauve-moi de César, de Rome, de moi-même. Frappe ce lâche cœur, dans la honte avili.... ANTOINE, Rome attend sa victime et mon sort est rempli. Adieu! Que ton forfait jusqu'au bout s'accomplisse, Sur toi de toutes parts que mon sang rejaillisse; Et , de l'empire encor te rouvrant le chemin , N'aborde le vainqueur que ma tête à la main. SCÈNE VI. CLÉOPATRE, seule. Grâce au ciel, mes forfaits ont passé ma fureur! Yoilà, voilà les fruits de ma funeste erreur! Quoi! j'ai donc pu trahir!... Infortuné, pardonne! Ah ! mon dernier regret n'est pas pour la couronne. Il venait de ranger cent états sous mes lois ! Et ma main l'assassine une seconde fois. Et je n'ai fait, hélas! d'une flamme si belle Qu'un malheur dévorant et sans bornes comme elle. 46 CLÉOPATRE. Comment le secourir?.... Et que puis-je tenter?. A son heureux rival allons nous présenter. Il est présomptueux; il me doit sa victoire. Qu'il tremble.... Je serai fatale à tant de gloire. Je le perdrai lui-même , et, s'il ose me voir, Antoine peut encor ressaisir le pouvoir; Clëopâtre, au milieu des débris de la guerre, A vu depuis dix ans les maîtres de la terre Déposer à ses pieds leur empire incertain , Et dans ma chute encor je commande au Destin. FIN DU TROISIEME ACTE. ACTE IV, SCÈNE I. 47 AV%<*«'««%'*'*««*«^«%^%^^'^^^%^*^^^'^^^^^^^'^^^^^^'^^^^^^*^'^'*^^'^'*'^^'*^*^'^^^'*^^^^^^^'*'^^^'^^^^^'*'^^'* ACTE QUATRIEME. Même décoration. SCÈNE PREMIÈRE. ANTOINE, dans le plus grand désordre et s'adressant aux Piomains dans la coulisse. (^uoi ! VOUS me refusez le bienfait du trépas ! Sans répandre mon sang, vous désarmez mon bras! C'est en vain qu'au milieu d'une armée ennemie, Presque seul contre tous j'ai prodigué ma vie ; Ile n'ont osé frapper, dans ces momens affreux , Leur ancien général terrassé devant eux , Et tous ces vieux Romains blanchis dans les alarmes Inclinaient leurs drapeaux en m'arrachant mes armes. Cléopâtre! Et c'est toi... Ta fureur... Jour d'effroi ! Le terme des douleurs recule devant moi , Et pour dernier revers , pour comble de souffrance, La raort ménie , la mort manque à mon espérance. Me dérobant le fer dont j'armai sa valeur , Eros épouvanté fuit devant mon malheur. Mais non... Je l'aperçois; de me servir jalouse, Sa grande âme... 48 CLÉOPATRE. SCÈNE IL ANTOINE, ÉPtOS. ÉROS. Seigneur, votre fidèle épouse S'avance sur mes pas... Quelque important dessein... ANTOINE , découvrant sa poitrine. Accomplis tes sermens , ami , voilà mon sein. ÉROS. Moi, j'exécuterais en frappant un grand homme Ce que n'ont pu César et tous les Dieux de Home ! ANTOINE. Tu l'as juré. ÉROS. Seigneur... ANTOINE. • Pourquoi ce sombre effroi ? Mon bras est désarmé, mais ce fer est à moi; Si dans ton faible cœur un vain remords s'élève Je te rends tes sermens, Eros, rends-moi mon glaive. ÉROS. Je ne servirai point cet excès de fureur ANTOINE. Ami, sois-moi fidèle en mon dernier malheur; Rends ce fer, à mes vœux cesse d'être rebelle. Appris-tu de l'ingrate à me trahir comme elle? ACTE IV, SCÈNE II. 49 J'ai cru , sans défiance et comptant sur ta foi, N'avoir pas un ami plus dévoué que toi ; J'ai combattu , bravé la fortune inconstante , Et lorsque mes malheurs ont passé mon attente, Lorque je suis captif d'un vainqueur menaçant, Lorsqu'il ne reste plus qu'à répandre mon sang; Toi, que j'associai tant de fois à mes armes, Tu viens me présenter d'injurieuses larmes! Le Romain que Brutus chargea de son trépas , Promit , s'arma du glaive et ne balança pas ; Le temps presse... Veux-tu me voir devant Octave, Devant son char vainqueur courber ma tête esclave? Le veux-tu? ÉROS. Non, seigneur; disposez de mon bras. AÎJTOINE. J'attends le coup fatal. ÉROS. C'en est donc fait, hélas! Adieu, mon maître. (Ils s'emi;rassent.) ANTOINE. Adieu !... Quelle crainte t'arrête? Allons, ne tremble pas; vois, ta victime est prête. ÉROS. Devoir cruel !... Mais , quoi! l'on marche vers ces lieux. ANTOINE. Octavie! Écartons ce glaive de ses yeux. 5o CLÉOPATRE. ÉROS. Rendez à ses douleurs le héros qu'elle pleure; Vos enfans , par sa voix ANTOINE. Cache ce fer.... Demeure. (Eros iorl.) SCÈNE lïl. OGTAVIE, ANTOINE. OCTAVIE. Viens , suis mes pas ; oublie un instant de malheur, Viens reprendre l'empire offert à ta valeur. L'aigle des légions, par mes pleurs désarmée, S'inclinant aujourd'hui devant ta lenommée... ANTOINE. Je suis captif... OCTAVIE. Qui ? toi ! c'est par la trahison ; Rome à de tels exploits n'attache point son nom. Qu'importe qu'une femme, en son aveugle rage. Se perdant elle-même et trompant ton courage , Ait dans ces murs sanglans appelé le trépas ? Tu peux être vaincu , mais ton nom ne l'est pas : Ce nom, plus grand qu'Octa\e et son succès frivole, En vain fut effacé des murs du Capitole ; Dans le cœur des humains son prestige resté , De l'univers encor défend la liberté. ACTE IV, SCÈNE III. 5i Mon frère, repoussant un indigne avantage, Consent qu'entre vous deux l'empire se partage. ANTOINE. Ton frère, dont la haine et l'orgueil insultant... OCTAVIE. Il se rend à mes pleurs, il t'appelle, il t'attend; Suis-moi. ANTOINE. Non, ton époux, coupable de tes larmes , Ne veut point sur tes jours verser d'autres alarmes ; L'amour de tes enfans occupe tous tes vœux , Va les rejoindre, pars... OCTAVIE. Ils sont ici tous deux. ANTOINE. Mes enfans ! Ah ! je dois éviter leur présence. Épargne à mes remords l'aspect de l'innocence ; Je fus trop criminel... OCTAVIE. Ne te souvient-il plus Du premier de tes fils, du jeune Marcellus? Ici , près des Romains sa voix prend ta défense. Daigne d'un doux regard accueillir son enfance; Rends les bontés d'un père à son pieux amour ; Ne lui reproche pas de me devoir le jour; Qu'en se voyant pressé sur le sein de son père. Il puisse croire encor que tu chéris sa mère. Il était au berceau lorsque tu l'as quitté. 51 CLEO PAT RE. ANTOIjN'E, apercevant Marcel lus. Que vois-je? Et quel objet devant moi présenté... Si c'était î Quelle e'preuve à mon heure suprême ! OCTAVIK. Tu détournes les yeux! c'est ton fils , c'est lui-même. Sans connnaître son père , il porte ici ses pas. AJQTOINE. Mon fils!.... OCTAVIE. Veux-tu le fuir ? ANTOINE. Ne me dévoilez pas. OCTAVIE. De sa présence, hélas ! Quel secours dois-je attendre ? SCÈNE IV. MARCELLUS, LES PRÉCÉDEINS. MARCELLUS. La voix de nos amis partout se fait entendre. Viens remplir ta promesse, et que mes jeunes mains Délivrent un héros de ses fers inhumains ; Pourquoi , ne suis-je pas dans les bras de mon père ? OCTAVIE. Bientôt à ses douleurs je te rendrai , j'espère. ACTE IV, SCÈNE IV. 53 MARCELLUS. D'éternelles douleurs tu le dis accablé; N'a-t-il donc pas besoin d'en être consolé? Jeune encor, je n'ai pu le suivre dans l'armée, Et je ne le connais que par sa renommée. Ah ! qu'il me serait doux, dans ces momens cruels , De toucher de mes mains les lauriers paternels! ANTOINE. Il est vaincu. MARCELLUS. Sa main glorieuse et chérie Se montra faible un jour , mais contre sa patrie ; Et le sang des Romains qui l'osent offenser Est le seul que son bras ne sache pas verser. Dans ses rangs belliqueux Rome aujourd'hui l'appelle ; Il fut toujours vainqueur en combattant pour elle. ANTOINE. On vous a donc appris ses exploits redoutés ? MA'RCELLUS. Ma mère, bien souvent, me les a racontés. ANTOINE. Cher enfant !... Votre père a flétri sa mémoij MARCELLUS. % 11 saura vaincre encor pour m'enseigner la gloire. J'apprends à le chérir depuis que je suis né, Et j'ignore pourquoi j'en suis abandonné. '54 CLÉOPATRE. (à Octavie.) Passerons-nous toujours de l'espoir à la crainte? Quelle douleur, ma mère, en tes traits est empreinte? Le bonheur, disais-tu , nous attendait ici. Est-ce donc vous , Seigneur, qui l'affligez ainsi ? ANTOINE. Son époux est l'auteur de toutes ses alarmes ; Lui seul, depuis dix ans, a fait couler ses larmes. MARCELLUS. Je ne le savais pas. OCTAVIE. Seigneur!... • ANTOINE. Ignores-tu Que , d'impuissans remords sans cesse combattu , Prêt à tremper ses mains dans son sang... Je m'égare. OCTAVIE. Ah! mon fils, malgré lui son projet se déclare. Ses discours , ses regards , tout me glace d'effroi ; Mais il n'osera pas s'immoler devant toi , Tu retiendras le fer dans sa main meurtrière; De ses propres fureurs tu sauveras ton père. ^M MARCELLUS CierT mon père!... OGT.WIE. C'est lui dont tu pleurais le sort ; C'est lui qui dans nos bras veut se donner la mort. ACTE IV, SCENE IV. 55 MARCELLUS, aux pieJs d'Anloinc. Mon père!... ANTOINE. Mon cher fils!... OCTAVIE, à Antoine. Que sa voix gémissante Porte jusqu'à ton cœur sa prière innocente ; T'aurait-il retrouvé pour te pleurer toujours ? Un père à ses enfans doit compte de ses jours. ANTOINE. Moi vivre!... Rejeté* du char de la fortune. Moi, lasser l'Occident de ma plainte importune, Ou souffrir qu'un rival, plaignant mon abandon, Laisse tomber sur moi son insolent pardon ! Ne suis-je point assez rassasié d'injures? Couvert de sang romain , souillé de noirs parjures , Ne suis-je pas , aux yeux du monde épouvanté , Un exemple de crime et d'infidélité ? Mon exécrable amour , mes affronts , ma furie , Ne m'ont- ils pas rendu l'horreur de ma patrie ? Je dois mourir... ma mort est utile à mes fils. Rome m'a poursuivi jusqu'aux murs de Memphis ; Mais à peine mes mains auront tranché ma vie, Rome se souviendra des enfans d'Octavie; Pour relever leurs fronts un moment abattus , Elle leur parlera de toi , de tes vertus. Elevés sous tes yeux pour un sort plus prospère. 56 CLÉOPATRE. Tu les consoleras du crime de leur père. Leur père en expirant les recommande aux Dieux. OCTAVIE. Non , nous n'acceptons pas de si cruels adieux. Tombe à ses pieds , mon fils, qu'il se rende à tes larmes ; D être père en tes bras qu'il goûte encor les charmes , Qu'il entende ta voix. MARCELLUS. Mon père ! ANTOINE. . Marcellus ! MARCELLUS, à Antoine. Regarde sa douleur. ANTOINE. Je ne me connais plus; Mon courage... MARCELLUS. Il vivra , mon amour m'en assure. Ton cœur va se rouvrir au cri de la nature. La mort d'entre nos bras ne pourra t'arracher; Dieux , donnez-moi des pleurs qui puissent le toucher. OCTAVIE. Au nom de ma douleur si long-temps solitaire , Par mes genoux tremblans attachés à la terre , Rends-toi, daigne abjurer ton horrible dessein. ACTE IV, SCÈNE IV. 5; ANTOINE. OÙ suis-je? et quelle voix se réveille en mon sein? O nature! 6 remords!... J'avais pu^méconnaître... Venez , qu'entre vos bras je puise un nouvel être ; Dieux! descendez vous-même en ce cœur combattu, Pour qu'il s'élève encor jusqu'à tant de vertu. Tu viens de remporter une victoire entière , Mon fils , et tu me rends aux larmes de ta mère. OCTAVIE. Viens , de Rome avec nous reprendre les chemins... Tous nos guerriers... ANTOINE. Je cours me montrer aux Romains. (Il sort.) OCTAVIE. Viens sur mon cœur, mon fils! ta voix, ta voix chérie , Le rend à mon amour , le rend à la patrie. Ah ! ne le quittons pas dans des momens si doux. • Il redevient Romain ; quel triomphe pour nous î MARGELLUS. De quels heureux transports ta douleur est suivie ! 58 CLÉOPATRE. SCÈNE V. OCTAVE, OCTAVIE, MARCELLUS, PROCULÉIUS; Garde s. OCTAVE , dans le fond du théâtre. Licteurs , obéissez à l'époux d'Octavie OCTAVIE, à Marcellus. Tu l'entends... MARCELLUS. D'un héros vous devenez l'appui , Souffrez... i OCTAVE. Oui , je lui garde un sort digne de lui ; Suivez ses pas tous deux... SCÈNE VI. OCTAVE, PROCULÉIUS; Gardes. PROCULÉIUS , avec une sorte d'effroi. Seigneur, cette clémence... OCTAVE. Ne serait maintenant qu'un excès de démence. Ami , rassure-toi , j'ai mes desseins secrets , Je change de conduite et non pas de projets. ACTE IV, SCÈINES VU et VIII. 5c) Les mortels, pour plier sous cette main puissante, Veulent être trompés; remplissons leur attente. SCÈNE VIL LES PRÉGÉDENS, PHORBAS. PHORBAS. Cléopâtre , seigneur , briguant votre soutien , Implore en ce moment votre auguste entretien. OCTAVE, à Phorbas. Qu'elle paraisse; allez, il est temps qu'elle apprenne Comme je sais répondre aux bienfaits d'une reine. (Phorbas sort.) PROCULÉIUS. Vous devriez plutôt refuser de la voir ; Ses larmes.... OCTAVE. Je prétends essayer leur pouvoir. SCÈNE VIII. OCTAVE, CLÉOPÂTRE; suite de Cléopâtre, suite d'Ociave. CLÉOPATEE, avec la plus gvande fierlë. Octave , à nos traités me trouvez- vous fidèle? Rome est-elle- contente et suis-je digne d'elle ? 6o CLÉOPATRE. Naguère d'Actiiim préparant le revers, Ma fuite en un seul jour vous donna l'univers; Mais , prompt à réparer son désastre funeste , Antoine triomphait; et vous savez le reste. J'ai satisfait, Octave, à mes engagemens, L'Orient m'est promis, tiendrez-vous vos sermens? OCTAVE. Je sais quels sont vos droits à ma reconnaissance , Madame , et vos projets ont servi ma puissance. Rome a pourtant douté de vous, de votre cœur. CLÉOPATRE. Par quel crime peut- on la rassurer, seigneur? OCTAVE. Mais Cléopâtre, hier me prodiguant l'outrage, A mon ambassadeur tint un autre langage. Des peuples et des Rois Rome réglant le sort, Ne traite qu'avec ceux qu'elle peut craindre encor. Vos remparts sont soumis, vos flottes fugitives CLÉOPATRE. 0 Peut-être dans le port vous les croyez captives : Détrompez-vous, seigneur; sans le secours des vents, Ma flotte a voyagé sur les sables mouvans ; Pour l'océan voisin quittant les mers d'Icare , Elle a déjà franchi l'isthme qui les sépare. Je ne vous dirai point quels obstacles rivaux Ont cédé tour à tour à mes hardis travaux. Cléopâtre commande au golfe d'Arabie; ACTE lY, SCÈKE YIII. 6i Les rives de l'Inclus, les côtes de Nubie, M'appirtiendront peut-être, et le Gange soumis Peut après deux mille ans revoir Sémiramis ; A l'aspect d'une terre ardente, inhabitée, Reculera toujours votre aigle épouvantée. Les déserts sont à moi ; terminez par mes mains La conquête du monde impossible aux Romains. OCTAVF.. Madame CLÉOPATRE. Vos vaisseaux couvrent l'Adriatique, Mais ils sont ignorés de la mer Atlantique. Rome, trop reculée au sein de l'Occident, Voit le Tigre et l'Indus tromper son ascendant. Contre un joug si lointain plus d'un peuple conspire; Changez, pour l'affermir, le centre de l'empire; Seigneur, Alexandrie est l'unique séjour Qui commande au couchant comme au berceau du jour, Et, sans avoir besoin d'éterniser la guerre, Seule peut surveiller les trois parts de la terre. En la fondant jadis, un héros nous l'apprit; Achevez le dessein qu'Alexandre entreprit ; Commandez, et du sein des restes qu'on admire Renaîtront cent cités rivales de Palmyre. OCTAVE. J'abandonnerais Rome et ses murs glorieux? CLÉOPATRE. Rome fait les héros , l'Egypte fait les dieux. D2 CLEO PATRE. Ces projets vous font peur.... J'en forme un antre encore; Du nom sacré d'isis l'Egypte me décore, Vivante, elle m'élève au rang des immortels, A Cléopâtre encore il reste des autels.... Osez, osez briguer cette gloire éclatante; Donnez un autre Olympe à la terre inconstante ; ()iji le peut mieux que vous?... le monde prosterné Adore cette main qui le tient enchaîné. L'Arabe vous appelle et l'Inde vous contemple , Et des prêtres d'Ammon je gouverne le temple. OCTAVE. Interrogeant l'oracle au temple de Memphis, Que j'aille à Jupiter donner un nouveau fils! Que maître des mortels j'ose encourir leur blâme ! CLEOPATRE. Et que font les mortels ?... OCTAVE. Ils nous jugent, madame; Des honneurs de l'Olympe Alexandre jaloux Les obtint.... Je les laisse aux immortels, à vous.... Poursuivez vos destins ; gardez le nom de reine ; Sur l'Orient promis régnez en souveraine. Recueillez de vingt rois les tributs glorieux.... Si ceux de Rome un jour pouvaient tenter vos vœux.... CLÉOPATRE. De Rome!... ACTE IV, SCÈNE VIII. 63 OCTAVE. Quel honneur de livrer vos images A ce nouvel encens, à ses brillans hommages! CLÉOPATRE. Qui m'y conduirait? OCTAVE. Moi. CLÉOPATRE. Vous guideriez mes pas Jusqu'au bord du Tibre? OCTAVE. Oui. CLÉOPATRE. César ne l'osa pas. OCTAVE. Je l'oserai, madame. En vous voyant paraître, Les Romains subjugués justifieront leur maître. César, vous soumettant les rois humiliés, De son char triomphal descendit à vos pieds ; Antoine , après la mort du vainqueur de Pompée , Vous redonna la terre à vos lois échappée. Dans nos murs belliqueux venez avec splendeur De vos vastes projets déployer la grandeur. CLÉOPATRE, à part. Je triomphe. OCTAVE. Déjà la voile se déploie, Entendez-vous les cris que le camp nous renvoie ? 64 CLEO PAT RE. Du peuple souverain le cortège éclatant, Des palmes à la main, sur nos bords vous attend; Venez, et qu'à vos lois Rome même se livre. CLÉOPATRE. (A part.) (Haut.) Tremble, jeune imprudent!... Je suis prête à vous suivre. SCÈNE IX. OCTAVE; Gardes dans le fond. Tu me suivras... Ton vœu doit être satisfait. Mon triomphe sans toi serait trop imparfait; Ton orgueil t'a voilé le piège que j'invente : J'ai promis aux Romains Cléopâtre vivante , Je dois tenir parole , et ton coupable amant Partagera bientôt ton juste châtiment. Je règne seul, oui seul, et pour moi tout conspire. La Rome des Brutus fait place à mon empire ; Tant d'orages publics , tant de sang et d'exploits , Ces cris de liberté , ces turbulentes lois , Ce Forum où tonnait l'éloquence de Rome, Fondaient à leur insu la grandeur d'un seul homme. Et neuf siècles à peine ont soumis aux Romains Cet univers conquis pour tomber en mes mains. Heureux , heureux Octave ! Immortelle journée ! ACTE IV, SCÈNE X. 65 SCÈNE X. OCTAVE, PROCULÉIUS. PROCULÉIUS. En apprenant, Seigneur, qu'à vos pieds amenée, La fière Cléopâtre, abaissant son orgueil, Implorait du vainqueur un favorable accueil , Antoine vient de fuir son épouse alarmée ; Sa jalouse douleur soudain s'est ranimée. Eros est avec lui; ses transports furieux Semblent nous annoncer... OCTAVE. Qu'on entoure ces lieux. Suis mes pas , viens servir mes haines légitimes ; Viens , le roc Tarpéien attend ses deux victimes. FIN DU QUATRIÈME ACTE. 66 .CLEO PAT RE. ACTE CINQUIÈME. La décoration est la même qu'au premier acte. SCÈNE PREMIÈRE. CLEOPATRE, en robe blanche et les cheveux épars; THÉONÈ. THÉONE. i^DEL dessein vous ramène en ces retraites sombres? De vos aïeux encor pourquoi troubler les ombres , Et, gémissante au pied de ces tristes autels, Dérober Cléopâtre à l'amour des mortels? Vous n'avez maintenant que des sujets de joie; La voile des vaisseaux vers Rome se déploie ; Venez dicter encor vos décrets absolus, Quittez ce noir séjour CLÉOPATRE. Je n'en sortirai plus. THÉONE. Vous ! lorsqu'à vos genoux Rome s'est prosternée, Lorsqu'Octave en vos mains remet sa destinée ? ACTE V, SCEIN'E I. 67 CLÉOPATRE, Lui ! ce barbare ! THÉONE. Ciel!.... CLÉOPATRE. Apprends que sa fureur Me réservait des jours d'épouvante et d'horreur. Apprends qu'en ce palais sa feinte criminelle Assurait à sa haine une proie éternelle ; Et qu'il ne se parait d'une fausse douceur, Que pour m'offrir vivante au courroux de sa sœur. Un de ses confidens, de mon intelligence, Vient de me dévoiler ses projets de vengeance, The'one , j'eusse été dans les murs des Césars Comme un objet d'opprobre exposée aux regards, Et le licteur aurait montré, pour quelque obole, Cléopâtre enchaînée au pied du Capitole. Trompons ces noirs desseins... Sur ces sombres autels Il est temps d'assembler tous les poisons mortels Que ces tombeaux sacrés gardent pour ma défense... Mourir seule... Mourir sans punir qui m'offense! Octavie a tramé l'horrible trahison; Chacun de mes malheurs fut marqué de son nom, Et pour dernier revers, quand ma grandeur succombe , Je laisse en son pouvoir mon empire et ma tombe. Mon trépas la délivre enfin de tout danger. Je regrette une vie où l'on peut se venger.... Si du moins.... Mais Phorbas peut servir ma furie, 68 CLÉOPATRE. Il peut à ma vengeance immoler Octavie ; Qu'il vienne; de ce fer je veux armer sa main. Cours, Théone, à ce prix je pardonne au Destin. Qu'il vienne... Quel plaisir, sous la main qui m'opprime. D'entraîner ma rivale au fond du même abîme, De punir par sa mort son triomphe insultant! Quel est le bruit lointain que dans l'ombre on entend? Ah! gardons-nous surtout de nous laisser surprendre! Suis mes pas SCÈNE II. OCTAVIE, MARCELLUS. MARCELLUS. Dans ces lieux , quoi ! vous osez vous rendre? Quels funèbres objets partout viennent s'offrir! N'allons pas plus avant. OCTAVIE. Le rejoindre , ou périr. Parcourons cette enceinte à la mort consacrée; On dit que Cléopâtre ici s'est retirée. Sans doute que ton père a couru sur ses pas... MARCELLUS. Qu'espérez-vous ? OCTAVIE. Sauver mon époux du trépas. ACTE V, SCÈNE III. 6(j MA.RCELLUS. Croyez-en mon effroi, quittons ces lieux, ma mère. OCTAVIE. Reste auprès de l'autel que cette flamme éclaire. MARGELLUS. Moi! OCTA.VIE, s'avançant sous la voûte où s'est retirée ClJopàlic. J'ai cru voir au loin dans l'ombre... SCÈNE III. MARGELLUS, seuL Elle me fuit. Sous cette voûte où règne une profonde nuit , Sans guide, sans défense, elle s'est avancée; Mille sombres terreurs assiègent ma pensée. Ma mère, ah! devais- tu pour cet affreux séjour Fuir le palais d'Octave et la clarté du jour? Des rois qui ne sont plus c'est ici la demeure. Rejoins, rejoins ton fils qui t'appelle et qui pleure. Mais quoi ! n'entends-je pas sous ces murs ténébreux , De longs accens, des cris faibles et douloureux? Cette voix... Ah! je cède à ma terreur mortelle. (Il s'c'lance vers le lieu d'où il croit que partent les cris.) jo CLEOPATRE. SCÈNE iV. CLEOPATRE, MARCELLUS. MARCELLUS. Mais elle m'est rendue! oui, je la vois! c'est elle! Je me retrouve encore entre ses bras!... Grands Dieux! CLEOPATRE, Enfant, que cherches-tu dans ces terribles lieux? MARCELLUS. Ma mère. CLEOPATRE. Éloigne-toi. MARCELLUS. Sa voix s'est fait entendre. CLEOPATRE. Éloigne-toi, te dis- je. MARCELLUS. Ah! venez la défendre;» Dissipez la terreur de mes sens éperdus. Elle appelle son fils. CLEOPATRE, Elle n'appelle plus. Au fond de ce tombeau qui la faisait descendre ? Yenait-elle en ces lieux insulter à ma cendre? ACTE V, SCÈNE V. 71 Ou, pour me voir demain enchaînée à son char, Dénoncer ma retraite au courroux de César? MARCELLUS. Elle venait, tremblante et le cœur plein d'alarmes, Pour sauver un héros , faire parler ses larmes ; Rendez-moi, rendez-moi ma mère et son époux, C'est un fils tout en pleurs qui tombe à vos genoux ; Guidez mes pas tremblans dans l'horreur des ténèbres. Venez. CLÉOPATRE. N'avance pas , fuis ces voûtes funèbres, MARCELLUS. Ces regards, ces transports, ce sombre égarement!... Quel est dans votre main ce fer encor fumant ? Ah! j'en crois mon effroi... Ce poignard.. .Viens, mon père, Viens venger dans son sang le meurtre de ma mère. SCÈNE V.. CLÉOPATRE, seule. Une terreur qu'en vain je cherche à surmonter... Je croyais un forfait moins pesant à porter. Pourquoi faut-il que , prête à sortir de la vie , Aux lieux où tout s'éteint ma fureur m'ait suivie ? Ce sang... Ma voix se glace et mon cœur a frémi; De mes aïeux plaintifs les mânes ont gémi. Que pour le crime, hélas ! la tombe est effrayante ! Je me cache dans l'ombre, et l'ombre m'épouvante. 72 CLÉOPATRE. La main des Dieux sur moL.. Fuis, stérile remord ! Et toi de quL j'attends le bienfait de la mort, Dernier dieu que j'implore et que l'Egypte encense , De tes poisons sacrés préte-moila puissance; Le moment est venu , je m'abandonne à toi. (Elle étend son Lras sur lurne.) Ah ! c'en est fait!... Le sort ne peut plus rien sur moi! Et pour tromper Octave et ses cruautés vaines , J'ai senti tes poisons circuler dans mes veines. Viens, tyran , à mes yeux tu peux ici t'offrir; Viens voir si j'ai besoin qu'on m'apprenne à mourir. SCÈNE VI. PHORBAS, CLÉOPATRE. CLÉOPATRE. Eh ! bien , Phorbas ? PHORBAS. Octave accuse votre absence , 11 demande quel lieu vous cache à sa puissance. CLÉOPATRE. Octave!... Il peut venir.... PIIORBAS, montrant l'urne. Quoi, madame?... CLÉOPATRE. Oui, Phorbas. ACTE V, SCÈNE VI. yS PHORBAS. Du glaive d'un esclave Antoine armant son bras , S'en est frappé lui-même, et, respirant à peine, Vers ces funestes lieux tout sanglant il se traîne; Il cherche à vous revoir à son dernier soupir. SCÈNE VIL ANTOINE , soutenu pav des soldats ;CL ÉOPATRE. CLÉOPATRE, Dieux! ANTOINE. Je viens à vos yeux achever de mourir. Déjà pour couronner votre flamme nouvelle Le triomphe s'apprête et Rome vous appelle. Madame, et, quand je touche à mon dernier instant, Sur le trône du monde Octave vous attend. CLÉOPATRE. Ce sépulcre est voisin de l'empire des ombres ; On m'attend , il est vrai , mais sur les rives sombres. ANTOINE. Ciel! CLÉOPATRE. Déjà le poison parvenu dans mon cœur.... ANTOINE. Tu ne me trompes pas ? 74 CLÉOPATRE. CLÉOPATRE. Regarde ma pâleur , Regarde. ANTOINE. C'est la mort.... oui, c'en est fait.... c'est elle. Cléopâtre jamais ne me parut si belle. Ah! que je goûte encor l'affreuse volupté De contempler ces yeux où s'éteint la clarté ! Laisse-moi te voir; dans la mienne pressée, Qu'une dernière fois ta main.... Elle est glacée. Le tombeau nous unit et me répond de toi. Que je m'assure bien que tu meurs avec moi. CLÉOPATRE. Tu m'as donc pardonnée !... Et connais-tu mon crime? ANTOINE. Que me dis-tu ? CLÉOPATRE. SaiS'tu le nom de ma victime? Sais-tu qu'un fer ven geur ?. . . Que mes transports affreux. . . ANTOINE. Octavie.... CLÉOPATRE. Au tombeau nous devance tous deux. M'oses-tu pardonner? ANTOINE. Te pardonner, barbare! La mort nous unissait , le crime nous sépare. ACTE V, SCÈNE DERNIÈRE. 75 Épargne-moi ta vue à l'heure du trépas , Et l'invincible horreur d'expirer dans tes bras. (Il meurt.) SCÈNE DERNIÈRE. OCTAVE, LES PRÉCÉDENS ; Peuple, portant des flambeaux . OCTAVE. Peuple, que votre reine en mes mains soit remise. A mon char de triomphe elle est déjà promise; C'est en vain pour me fuir qu'elle se cache ici. Que l'on cherche en tous lieux mon captif... CLEOPATRE, lui montrant le cadavre d'Antoine. Le voici. Pour la première fois regarde-le sans crainte ! OCTAVE. Il n'est plus !... CLÉOPATRE. Que ta joie e'clate sans contrainte. OCTAVE. Antoine pouvait-il m'inspirer quelque effroi? Et l'univers enfin n'était-il pas à moi ? D'un pardon éclatant il m'enlève la gloire , Il était mon captif. CLÉOPATRE. Tu n'osais pas le croire. Tu frémissais encore après l'avoir dompté. La chute d'un héros t'avait épouvanté. 76 CLÉOPATRE, ACTE V, SCENE DERiNlÈRE. OCTAVE. C'en est trop; il est temps que le crime s'expie. Vous paierez cher les pleurs et le sang d'Octavie. Qu'on l'entoure et de fers que l'on charge ses mains... Je dois votre supplice en spectacle aux B.omains. CLÉOPATRE, Tu les en as flattés ? PHORBAS. Ah! Seigneur, elle expire ; Le poison.... CLÉOPATRE. Oui, tyran , j'échappe à ton empire; J'ai disposé sans toi des restes de mon sort. De mes flancs douloureux viens arracher la mort , Ou par un nouveau crime illustrant ta mémoire, Attache Gléopâtre à ton char de victoire. (Elle lueurl. ) FIN. So ^f^Mm '■> y-- J" '--'-f \ i:j^-:f ■mx. ^i..-. î^^:- -: I *- W-^\ ■ . z- >#,-_> «qP i^lir 11 w^ î**^ >?*„ r ■il'- # J^J « m 4! i^^ ■^.^^^^■^•*^'